(…) «Je rétablis le délit de clandestinité parce qu’il faut dire aux Français que le délit de séjour clandestin a été supprimé en 2012 et qu’ils viennent parce qu’ils savent qu’on ne peut pas les arrêter parce qu’ils sont clandestins», a expliqué Eric Zemmour sur C8 le 27 janvier face à Jean-Luc Mélenchon, qui lui a rétorqué : «Si ! Le délit de clandestinité existe toujours». Qu’en est-il vraiment ?
VÉRIFIONS. En préambule, oublions donc le terme «clandestinité». En droit des étrangers, les juristes parlent de «séjour irrégulier». Et une chose est certaine, la question de sa pénalisation a subi bien des évolutions législatives depuis les années 1980, au point de brouiller les cartes. Aussi aucun des candidats n’aurait totalement tort ni entièrement raison. La règle de droit est qu’avant de punir le séjour irrégulier, il faut éloigner les irréguliers. Comme le fait remarquer l’avocat Patrick Berdugo, spécialiste en droit des étrangers, «c’est l’avion avant la prison».
«En droit pur», reconnaît cependant un haut magistrat de l’ordre administratif, «Eric Zemmour a de bonnes réminiscences de ses cours de droit à Science Po, et a raison. Le délit de séjour irrégulier n’existe pas en tant que tel. Il a été abrogé par les lois Joxe et Pasqua de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Il s’agissait d’une clarification conceptuelle du droit afin d’éviter un mélange des genres entre police administrative et droit pénal. Il y a trente ans, il existait bien un délit d’entrée irrégulière susceptible d’être puni par le tribunal judiciaire de prison». Mais cela engendrait une confusion avec les obligations de quitter le territoire français (OQTF) décidées et délivrées par les préfectures, en cas de séjour irrégulier, pure mesure de police administrative au même titre d’ailleurs que l’expulsion pour motif d’ordre public.
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En résumé, en droit pur, le délit de séjour irrégulier n’est imputable que si des mesures d’éloignement ont été décidées et qu’il y a été fait obstruction. La question est peut-être surtout de savoir en quoi le rétablir en tant que tel durcirait la législation actuelle ou rendrait plus efficace l’expulsion aujourd’hui très difficile des trois millions d’illégaux en France.
Rappel, en 2020 :
En 2019 :
En utilisant les chiffres fournis par Médecins du Monde et le nombre d’admissions à l’AME, on arrive à 318 106 / (1 – 0,88) = 2 650 883 personnes.
Cela concerne beaucoup de monde ?
Au 31 décembre 2018, le nombre de titulaires d’une carte d’admission à l’AME s’élevait à 318 106 personnes, selon un décompte communiqué à franceinfo par le ministère de la Santé. Après une quinzaine d’années de forte hausse, ce chiffre tend à se stabiliser depuis 2015 (+ 0,7% entre 2017 et 2018). L’an dernier, la commission des Finances du Sénat précisait qu’environ deux bénéficiaires de l’AME sur trois “consommaient effectivement des soins” au cours de l’année.
En théorie, ces chiffres pourraient être bien plus importants : tous les étrangers sans papiers ne sont pas inscrits à l’AME. “Parmi les personnes reçues chez Médecins du monde, une proportion très importante relevant théoriquement de l’AME n’en dispose pas dans les faits”, avec “un taux de non recours de 88%”, affirme l’ONG à franceinfo. Dès 2010, dans un rapport sur l’AME, les inspections générales des Finances et des Affaires sociales s’inquiétaient “d’un renoncement aux soins” des étrangers en situation irrégulière, “faute d’insertion et d’inscription dans les démarches d’accès à une protection sociale”.