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Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français, coauteur de plusieurs ouvrages concernant l’islamisme et le terrorisme. Il fait une première incursion dans le renseignement comme conseiller technique sur les affaires touchant à l’islam et au terrorisme auprès du directeur du renseignement (1996-1999). Il est nommé chef du Service de Renseignement de Sécurité à la DGSE, qui remplace l’ancienne section du contre-espionnage, en 2000-2001 et la quitte en 20011. Il est chercheur associé à l’European Security Intelligence and Strategy Center, chargé de conférence au diplôme universitaire d’études des menaces criminelles contemporaines, université de Paris II.

Il publie « Sept pas vers l’enfer ».

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Quelles ont été, en gros, les lignes politiques suivies?
C’est très simple, depuis les années 1980, on oscille entre une ligne promigratoire et islamo-béate – celle de la gauche des années Mitterrand – et une ligne plus pragmatique des «républicains de gauche» et de la droite, qui néanmoins ne veut pas risquer l’accusation «d’islamophobie». Leur mot d’ordre collectif est donc: «Pas de vagues».

Vous pointez le doigt vers l’Arabie saoudite et l’internationale salafiste qu’elle a construite à partir de rien. Diriez-vous qu’ils sont responsables mais pas coupables?
Ce serait sans doute un peu trop gentil. Ils répandent le chaos, et ce chaos est en partie résorbé par l’intervention armée de puissances étrangères, en général non arabes et non musulmanes, qui doivent ensuite supporter le poids militaire et financier de cette intervention, la responsabilité et la culpabilité de ses conséquences, le soupçon, sans cesse recommencé de mener une croisade contre l’islam.

Les Saoudiens ne sont pas les seuls banquiers de la cause salafiste qui va des madrasas djihadistes aux prêcheurs d’internet en passant par les Frères musulmans…
Bien sûr, il y a le Qatar, le Pakistan, la Turquie, mais Riyad est au centre de la toile. Elle ne soutient pas le djihadisme par affinité idéologique ou volonté missionnaire. Elle le fait par pragmatisme pour mettre les Saoud à l’abri du regard critique de l’Occident, à l’abri de la concurrence impériale de l’Iran, à l’abri de la contestation démocratique ou sociale. Elle encourage partout et toujours quiconque est susceptible de relayer la doxa théocratique, sectaire et réactionnaire sur laquelle elle a construit sa légitimité contestable depuis sa conquête militaire des lieux saints de l’islam en 1926 aux dépens de ses gardiens tutélaires que sont les Hachémites, dont le dernier descendant est le roi de Jordanie.

Le Figaro

Extrait des bonnes feuilles de l’ouvrage

Les élites et médias occidentaux ont cru déceler les délices potentielles d’une transition démocratique des pays ­arabes et musulmans sous la houlette des Frères musulmans perçus comme des sortes de chrétiens-démocrates à la sauce locale, dont le parti islamiste turc alors en phase de conquête du pouvoir semblait donner l’exemple au point qu’on n’hésitait pas alors à vanter le modèle turc. Au-delà de l’habileté des Frères à se présenter comme des recours bienvenus, l’erreur semble provenir des milieux intellectuels US de la côte Est suite à la lecture superficielle d’un texte d’ailleurs ambigu de Graham Fuller qui prédisait l’inéluctabilité de l’accession au pouvoir des islamistes du FIS en Algérie et présentait cette évolution comme une transition possible des pays arabes et musulmans vers la démocratie […] C’est néanmoins sur cette base idéologique que se sont construites toutes les stratégies américaines et européennes dans les deux premières décennies du XXIe siècle, jusqu’à culminer avec le soutien à des « printemps » arabes mal compris et des interventions militaires dans la plus pure tradition de la politique de la canonnière du XIXe siècle contre des autocrates certes patentés.

Mais ces ingérences se sont vite transformées en portes grandes ouvertes aux seules organisations politiques rescapées des pouvoirs dictatoriaux, à savoir les organisations salafistes qui avaient bénéficié pendant des décennies de la protection et du soutien des pétromonarchies. Parmi les initiateurs occidentaux majeurs du soutien aux révolutions « printanières », Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, a dû reconnaître dans une interview accordée le 25 janvier 2021 au Parisien que : « A posteriori, quand je relis mon discours de 2011 et que je regarde la ­situation aujourd’hui, je constate que le fiasco est total. Aucun des objectifs que nous avions fixés : favoriser les ­libertés, créer un partenariat économique et social plus ­efficace, n’a été atteint. Nous avons essayé d’accompagner la libéralisation de ces régimes avec pour résultat l’anarchie, le chaos, le retour aux régimes autoritaires… »

On ne saurait mieux dire, et le ministre des Affaires étrangères qu’il était à l’époque aurait sans doute gagné à écouter les experts institutionnels plutôt que des cabinets de communicants qui lui relayaient les souhaits d’une certaine intelligentsia. Car dès l’été 2011, de nombreux chercheurs, universitaires et officiers de renseignement ont mis en garde contre les évidentes dérives ­intégristes du printemps précédent. En vain ; et dans l’indifférence générale, voire les procès en racisme et ­islamophobie. Tous ces mal-pensants ont été désignés à la vindicte de la presse mainstream et au mépris haineux des éditorialistes. Et l’on a retrouvé notre habituel philosophe en chemise blanche pérorant dans les rues de ­Tripoli aux côtés du fugace président d’un gouvernement de transition arborant fièrement sa zebiba tout en promettant des lendemains qui chantent et des contrats pétroliers mirobolants à son ami français. Jamais honorés par la suite bien sûr, Turcs et Qataris ayant investi la place.

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La gestion de ­Molenbeek est à cet égard exemplaire : autorisations aisément attribuées et sans aucun contrôle d’ouvertures et de fonctionnement de mosquées, écoles privées islamiques, clubs culturels et sportifs généreusement subventionnés par l’Arabie saoudite […] En ce qui concerne le rôle de l’Arabie, le bourgmestre de Molenbeek avait des excuses. Suite au tragique incendie du grand magasin Innovation qui fit près de 300 morts à Bruxelles en 1967, le roi Fayçal d’Arabie, alors en tournée en Europe, sortit son carnet de chèques pour indemniser les vic­times. En échange, il exigea du roi Baudouin d’accorder à l’Arabie le monopole de la représentation de l’islam et de la désignation des imams en Belgique. L’accord s’est concrétisé en 1969 par la cession par bail emphytéotique pour quatre-vingt-dix-neuf ans du Pavillon oriental du parc du Cinquantenaire de Bruxelles, où l’Arabie a ­immédiatement installé le siège européen de la Ligue ­islamique mondiale (LIM), principal instrument de diffusion planétaire de l’islam wahhabite, et le Centre culturel islamique de Belgique dont toutes les enquêtes récentes – en particulier celles de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles – ont montré qu’il a joué un rôle majeur dans la résistance à l’intégration des musulmans de Belgique et dans la diffusion de l’idéologie salafiste violente.

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Les ­attentats de novembre 2015, à commencer par celui du Bataclan, la fuite vers Molenbeek de l’un des auteurs qui en était venu avec plusieurs comparses tués au cours des opérations et enfin l’attentat de l’aéroport de Zaventem en mars 2016 sont venus quelques mois plus tard confirmer mes jugements, qui n’étaient donc ni faux ni injurieux. À ceux qui ne manqueront pas de m’accuser de me livrer à un exercice facile et bien franchouillard en « stigmatisant » telle ou telle municipalité ou communauté de Belgique, je précise que mes jugements et analyses étaient d’une remarquable retenue à côté du long et violent pamphlet publié le 22 mars 2016 sous le titre significatif de « J’accuse ! » par Bernard Snoeck, ancien spécialiste du contre-espionnage et du contre-terrorisme au sein du SGRS (Service général de renseignement de ­sécurité) belge. J’en extrais ici quelques lignes parmi les moins virulentes : « J’accuse les responsables politiques de n’avoir jamais voulu comprendre la montée de l’islam radical et de l’avoir délibérément ignorée pour cause d’électoralisme et de “politiquement correct”. Je les ­accuse d’avoir laissé plusieurs communes belges développer un radicalisme djihadiste depuis des années, au point qu’un responsable socialiste m’avait un jour dit : “Nous connaissons le problème de Molenbeek, mais, que voulez-vous, c’est un électorat qu’on ne peut négliger » ; « J’accuse un ancien ministre de la Défense de n’avoir pas ­autorisé une enquête approfondie sur l’islam radical au sein des forces armées afin de “ne pas stigmatiser la population musulmane au sein de l’armée” (dixit), alors même que nous avions connaissance de personnes radicalisées au sein de la “grande muette”.

La négation du concept de loup solitaire mène à des impasses opérationnelles

À y regarder de près, il apparaît que parmi les nombreux attentats commis en France depuis une quinzaine d’années, seuls ceux du 13 novembre 2015 et, sans certitude, ceux de janvier 2015 ont été commandités, prescrits, ­organisés, commis en groupes bénéficiant de soutiens logistiques prépositionnés et obéissaient à une tactique élaborée dans les rangs d’entités terroristes étrangères, État islamique ou al-Qaida, d’ailleurs pas toujours au plus haut niveau, mais plutôt par des cadres intermédiaires francophones désireux d’acquérir prestige et promotion au sein de l’une ou l’autre de ces organisations. Tous les autres attentats ont été commis par des ­individus isolés ou, plus rarement, en tout petits groupes de proches qui n’avaient eu aucun contact autre que virtuel et à sens unique avec la mouvance salafiste internationale, n’en avaient reçu aucun ordre précis ni de cible minutieusement désignée, ne disposaient que de moyens rudimentaires […] Le négationnisme du concept de loup solitaire ne se résume pas à une simple querelle séman­tique d’experts. Il impacte profondément le traitement sécuritaire, policier et judiciaire de ces actes terroristes, mais aussi et surtout la perception globale du phénomène et la doctrine à mettre en œuvre pour l’éradiquer.

Car les donneurs d’ordre et les instigateurs du terrorisme existent bien. Inutile d’aller les chercher en tant qu’individus dans un recoin perdu de Syrie, d’Afghanistan ou du Yémen. Ils sont légion. Ce sont tous ceux, ­wahhabites, Tablighis et surtout Frères musulmans, qui appellent sans cesse depuis trente ans à la révolte et à la violence contre l’Occident, les régimes arabes « impies » et les « mécréants », fussent-ils musulmans. Ce sont tous ceux qui prescrivent la dissidence et la séparation d’avec les sociétés de résidence ou d’accueil, tous ceux qui ­ordonnent l’irrespect des lois d’État qui selon eux ne ­valent rien face à la charia. Sous les deux sabres entrecroisés du blason des Frères musulmans figure un seul mot en arabe qui est une objurgation péremptoire et peut se traduire par : « Soyez prêts ! » Trente années d’un lavage de cerveau intensif rendu encore plus efficace par l’assistance financière des pétromonarchies et l’universalisme de l’internet et des réseaux sociaux ont largement contribué à ce que certains « soient prêts ». En ­recherchant obstinément des donneurs d’ordre ou des réseaux individualisés et identifiables, nous nous interdisons de nommer clairement l’ennemi, les véritables instigateurs, idéologues, agents d’influence, sponsors et financiers de la violence salafiste, et de lutter contre leurs entreprises et leurs manœuvres.AmazonBonjourFigaro

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