Le Département des communications mondiales des Nations unies a demandé au personnel de l’organisation internationale de ne pas qualifier la situation en Ukraine de “guerre” ou d'”invasion”, afin de ménager les susceptibilités politiques, alors que la Russie, puissant État membre, prend des mesures nationales contre ceux qui utilisent ces mots.
Le personnel des Nations unies a reçu pour instruction d’utiliser les termes “conflit” ou “offensive militaire” pour décrire l’invasion de son voisin par la Russie, qui a tué des centaines de civils et contraint deux millions de personnes à fuir le pays.
Dans un courriel adressé lundi à une liste de diffusion du personnel et ayant pour objet “Directives pour la communication sur la crise en Ukraine”, le directeur du Centre régional d’information des Nations unies a demandé aux employés de ne pas décrire la situation comme une guerre et de ne pas ajouter le drapeau ukrainien sur les comptes de médias sociaux ou les sites Web personnels ou officiels.
“Quelques exemples spécifiques de langage à utiliser/ne pas utiliser en ce moment”, peut-on lire dans l’email, vu par le Irish Times.
“Utilisez ‘conflit’ ou ‘offensive militaire’ et NON ‘guerre’ ou ‘invasion’ lorsque vous faites référence à la situation en Ukraine.”
“N’ajoutez PAS le drapeau ukrainien sur vos comptes de médias sociaux ou sites web personnels ou officiels”, poursuit le courriel, faisant référence à une pratique devenue courante pour montrer son soutien à l’Ukraine.
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Risque pour la réputation’
“Ceci est un rappel important que nous, en tant que fonctionnaires internationaux, avons la responsabilité d’être impartiaux”, peut-on lire. “Il existe une sérieuse possibilité de risque de réputation qui a été signalée par de hauts fonctionnaires récemment.”
Le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric, a reconnu que l’email avait été envoyé mais a nié qu’il s’agissait d’une politique officielle. “Je ne conteste pas la validité de cet email mais il ne peut pas être considéré comme une politique officielle pour le personnel”, a-t-il déclaré au Irish Times.
Un autre courriel envoyé au personnel de l’ONU mardi matin, également vu par The Irish Times, suggère que la politique linguistique concernant l’Ukraine a été mise à jour pour inverser les directives initiales et permettre l’utilisation de “guerre” et “invasion”.
Le compte Twitter du porte-parole de l’ONU a d’abord qualifié les informations du Irish Times de “fausses”, avant de supprimer le tweet.
L’instruction donnée au personnel de ne pas utiliser “invasion” et “guerre” a alimenté la crainte que l’organisation n’aille trop loin pour ne pas offenser la Russie, un puissant État membre qui détient l’un des cinq sièges permanents au Conseil de sécurité de l’ONU.
“Il est difficile de croire que l’ONU pourrait essentiellement imposer le même type de censure que le Kremlin impose actuellement à l’intérieur de la Russie en interdisant l’utilisation des mots ‘guerre’ et ‘invasion'”, a écrit le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba. “La réputation de l’ONU est en jeu”.
Les responsables russes n’utilisent pas le mot “invasion” : le terme préféré du Kremlin est “opération militaire spéciale”, et le régime de Vladimir Poutine a fait des efforts pour imposer ce langage à l’intérieur du pays.
Deux jours après le lancement de l’offensive russe, le régulateur des médias Roskomnadzor a ordonné aux organes de presse locaux de supprimer les reportages utilisant les mots “agression”, “invasion” ou “déclaration de guerre”, sous peine de se voir infliger une amende ou un blocage.
Peines de prison
Cette mesure a été suivie d’une nouvelle loi imposant des peines de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans à toute personne diffusant des informations jugées “fausses”, de l’arrestation de milliers de personnes ayant manifesté contre la guerre, de la fermeture de deux diffuseurs locaux indépendants et du blocage de sites Web de médias internationaux, dont la BBC et la Deutsche Welle.
L’Union soviétique était l’un des membres fondateurs des Nations unies lorsqu’elles ont été créées dans le but de prévenir de futures guerres au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La Fédération de Russie a hérité de son siège et de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) lors de la dissolution du bloc en 1991.
En tant que membre élu temporaire du CSNU, l’Irlande a fait pression pour la suppression du système de veto qui permettait à la Russie, l’un de ses cinq membres permanents, de bloquer une résolution du Conseil qui aurait exigé que Moscou mette fin à son attaque contre l’Ukraine et retire ses troupes.