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Présents sur les ronds-points des Gilets jaunes, en première ligne pendant la crise sanitaire, ces « invisibles » représentent plus de 40 % de la population active, selon une étude. A 54 %, ce sont des femmes, souvent à la tête de familles monoparentales. Pour mieux appréhender ces travailleurs de l’ombre, le cabinet Occurrence a conduit durant deux ans, pour la Fondation Travailler autrement, une enquête inédite auprès de 15 000 Français : « Les invisibles, plongée dans la France du back-office », dont le JDD dévoile les résultats.

Elles ou ils sont auxiliaires de vie, et s’occupent des aînés. Femmes de ménage, qui nettoient les bureaux à l’heure où leurs occupants n’y sont pas encore. Agents de sécurité contrôlant les sacs à la sortie des magasins. Ce sont les invisibles, que beaucoup voient sans les regarder ni leur prêter attention. Ils passent aussi sous les radars de la statistique. Sans eux, pourtant, les supermarchés n’auraient pas été approvisionnés durant les confinements sanitaires, les malades transportés vers les hôpitaux ou les colis livrés à domicile. En clair, notre société ne tournerait pas rond. Essentiels à la bonne marche de l’économie, ces femmes et ces hommes demeurent une sorte d’objet social non identifié, ni col blanc ni col bleu, selon les traditionnelles catégories du corps salarial.

Métiers du lien et du soin, de la vie quotidienne (logistique, transport, commerce) et de la continuité économique, ils composent un groupe hétérogène, évoluant majoritairement dans le secteur privé, mais aussi dans la fonction publique. À 54 %, ce sont des femmes, souvent à la tête de familles monoparentales. Comme Laure Calamy dans son dernier film qui sort mercredi, À plein temps, où elle incarne une gouvernante qui passe son temps à courir contre le temps qui défile et après des trains de banlieue bondés pour cause de grève des transports.

Leur poids est non négligeable : ils représentent plus de 40 % de la population active. Derrière chaque Français se niche donc un invisible travaillant à son service, qui veille à préparer sa commande dans les délais ou à mettre en ordre sa maison, sans que cet agent de confort ne puisse lui-même bénéficier des prestations qu’il délivre. Tout simplement car il n’en pas les moyens : 50 % d’entre eux gagnent moins de 1 500 euros brut par mois. Et quand ils sont deux à travailler, 50 % touchent moins de 2 000 euros brut.

Difficile, dans ces conditions, de profiter des fruits de son labeur. Seuls 13 % de ces travailleurs essentiels ont pu faire des économies et prendre des vacances au cours des deux dernières années. 93 % n’ont pas les moyens de se payer « un petit plaisir » et 41 % ne peuvent pas satisfaire leurs besoins primaires. La hausse des prix de l’énergie les touche de plein fouet. Ils vivent principalement hors des métropoles, et la voiture leur est indispensable.

C’est pour éviter un remake des Gilets jaunes que le gouvernement a versé en fin d’année une prime inflation aux Français gagnant moins de 2 000 euros – le public des invisibles – et qu’il a annoncé samedi au Parisien une remise carburant de 15 centimes par litre à partir du 1er avril, pour une durée de quatre mois. Les aides sociales pourraient leur offrir une bouffée d’oxygène. Las, un tiers ne perçoivent pas celles auxquelles ils auraient droit en raison de procédures complexes. « Notre société n’atteint pas son but, regrette Patrick Levy-Waitz, ­président de la Fondation Travailler autrement. Les politiques publiques doivent être plus ciblées et territorialisées. »  [ …]

Face à pareil tableau, on pourrait les croire désabusés, et donc abstentionnistes. L’étude de la Fondation prouve au contraire qu’ils croient encore au pouvoir des urnes. 86 % déclarent vouloir voter aux présidentielles. En 2017, ils étaient 80 % à l’avoir fait. Marine Le Pen (RN), Jean-Luc Mélenchon (LFI) ou encore Fabien Roussel (PCF) tentent de capter cet électorat populaire en proposant d’augmenter les salaires et/ou le smic. Vivre dignement certes, mais aussi être mieux reconnus : c’est également le message de cette enquête. Or peu de candidats suggèrent des systèmes de formation professionnelle plus fluides et moins complexes permettant de se dessiner un autre avenir. Des mesures indispensables pour que ces invisibles ne le restent pas indéfiniment.

Article intégral sur le JDD

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