GRAND ENTRETIEN – Le philosophe Alain Finkielkraut, dont la mère est née à Lviv, livre son regard sur l’invasion russe à partir de son expérience familiale, mais aussi des lectures de Milan Kundera et Vassili Grossman.
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La crise humanitaire en Ukraine met en lumière la question des réfugiés. Jusqu’où doit, selon vous, aller l’accueil ? L’Europe peut-elle s’ouvrir sans limites et sans conséquences pour l’avenir ? Certains parlent déjà d’un deux poids, deux mesures avec les pays du Moyen-Orient ou d’Afrique subsaharienne…
Jean-Luc Mélenchon, à la fin de son impressionnant rassemblement place de la République, a expliqué que, dans le monde qui vient, l’afflux de réfugiés était inéluctable et qu’il fallait y répondre par une hospitalité inconditionnelle. Les guerres et le dérèglement climatique vont conduire par milliers, par millions, voire par milliards, de pauvres gens à l’exode. Il faut être raciste, a ajouté Mélenchon, pour répondre à cette urgence par la discrimination entre le proche et le lointain, ou le réfugié politique et le réfugié économique. Il n’y a pas d’autre alternative, autrement dit, qu’entre le racisme et la submersion migratoire.
Les néo-progressistes plaident ardemment pour le grand remplacement qu’ils dénoncent pourtant à longueur de colonnes comme une théorie conspirationniste. Plus de France, plus d’Allemagne, plus d’Espagne, plus d’Ukraine, plus d’individus, plus de noms propres, mais une immense infirmerie, car, comme l’écrit Michel Serres, « à l’infirmerie, aucun ne souffre ni ne gémit bien différemment des autres. Universelle comme la violence et la mort, la douleur nous égalise. La même amertume sale la sueur, les larmes et le sang. » L’Ukraine et l’humanité tout entière méritent mieux que d’être noyées dans l’anonymat d’une espèce. D’autres leçons doivent être tirées de cette guerre que ce cauchemar de l’interchangeabilité des êtres, et notamment que tout doit être fait pour préserver le trésor de la pluralité humaine.