ENTRETIEN – «Intersectionnalité», «blanchité»…. Dans son livre Les moutons de la pensée, le linguiste Jean Szlamowicz critique méticuleusement les concepts qui se sont imposés dans le débat public, et la méthodologie utilisée par les universitaires qui se sont emparés de cette terminologie.
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Loin de n’être que des concepts descriptifs, ces termes comportent tous une part de négativité, dites-vous. Que révèle l’utilisation massive du registre de la psychologie ? En quoi est-ce révélateur, selon vous, d’un problème de méthodologie ?
Oui, en vérité, ces notions ne sont pas de vrais concepts relevant des sciences sociales : l’intersectionnalité ou le néo-féminisme ne sont pas des sciences, mais des revendications militantes. La démarche de ces discours ne consiste donc pas à produire des savoirs mais à légitimer leurs postures, souvent avec mauvaise foi et avec des biais de sélection. Quand on parle de «blanchité» ou de «décolonialisme», on utilise des termes qui paraissent savants mais qui ne font que diaboliser leur objet sur le plan moral. Cela n’a aucune valeur descriptive, ce sont des formules accusatoires. L’emploi de termes construits sur le suffixe –phobie est révélateur d’un procédé de pathologisation : «islamophobie», «glottophobie», «transphobie» permettent de discréditer radicalement celui que l’on accuse. La manipulation réside dans le fait de l’appliquer comme bouclier face à la moindre critique.
Des mots pseudo-savants servent d’injure idéologique afin de bloquer notamment la formulation de critique envers les théories du genre ou l’islam politique.
Jean Szlamowicz
Ce ne sont pas des concepts qui décrivent le social, mais des mots pseudo-savants qui servent d’injure idéologique afin de bloquer toute critique envers les théories du genre ou l’islam politique. Quant à la déconstruction des «imaginaires» et des «représentations», elle se situe dans le plus grand flou méthodologique : on ne sait pas comment cette critique aurait accès à des choses immatérielles, subjectives et qui ne sont, du reste, jamais définies précisément. D’ailleurs, «critique» ou «déconstruction» sont souvent revendiquées dans un sens noble, alors qu’il ne s’agit la plupart du temps que de pure péjoration, sans horizon véritablement solide intellectuellement.
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Comment une partie de la recherche universitaire a-t-elle, selon vous, basculé dans une sorte de délire paranoïaque ?
(…) Quand on ne fait de la recherche que sur les séries télé, le porno et Pif le chien, on ne risque pas d’avoir un niveau théorique très élevé. On compense en jargonnant, en toute inconséquence, et on parle de «représentations», ce qui évite de recueillir de vraies données. C’est le triomphe des «studies : cultural studies, porn studies, gender studies, video game studies»… Ce ne sont pas des disciplines dotées de principes méthodologiques, mais du bavardage. C’est davantage accessible pour un public étudiant qui n’est plus en mesure de comprendre — encore moins de produire — de la vraie recherche exigeante.
Comme l’intersectionnalité est désormais le courant dominant, pour faire carrière, il vaut mieux adopter ce discours et cette posture plutôt que de s’intéresser à des sujets trop complexes ou qui ne se plient pas à cette orthodoxie. Il y a une demande sociale pour ce militantisme de la bonne conscience : n’oubliez pas que l’idéologie, c’est aussi un marché. De fait, le développement d’une surveillance idéologique dans l’université est devenu très préoccupant — on trouve maintenant des «référents déontologues», autant dire des commissaires politiques !
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(Merci à Blaireau Bondissant)