L’immigration amène des changements : les sociétés monoculturelles deviennent multiculturelles – cela provoque des bouleversements. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer.
par Yascha Mounk
Pourquoi les démocraties ont tant de mal avec la diversité : “Transformer une démocratie mono-ethnique en démocratie multi-ethnique est une expérience unique dans l’Histoire. Cette expérience peut échouer”
Et dans un pays (Allemagne) où plus d’un million de réfugiés d’Afrique et du Moyen-Orient sont arrivés ces dernières années, l’évolution démographique est aussi un enjeu important : “Nous osons ici une expérience unique dans l’histoire (…) À savoir, transformer une démocratie monoethnique et monoculturelle en une démocratie multiethnique. Ça peut marcher, je pense que ça va marcher, mais bien sûr il y a beaucoup de bouleversements.“, avais-je déclare à l’époque.
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Dans une démocratie, la taille de son groupe d’appartenance a un impact direct sur les possibilités d’exercer une influence politique. Celui qui est dans la majorité décide. Lorsqu’un groupe devient une minorité à la suite d’une immigration massive ou d’autres formes de changement démographique, les lois auxquelles il est soumis peuvent changer radicalement.
Ainsi, la logique gouvernementale, avec son besoin constant de trouver une majorité d’électeurs partageant les mêmes idées, incite les gens à exclure ceux qu’ils considèrent comme « différents ». Les institutions démocratiques tendent à rendre plus difficile le maintien de la paix entre groupes identitaires rivaux. Il n’est donc pas surprenant que la diversité ethnique et religieuse, qui s’est rapidement accrue au cours des dernières décennies, alimente également de sérieux défis dans l’Allemagne d’aujourd’hui.
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À la fin de la Seconde Guerre mondiale, moins de 4 % de la population britannique était née à l’étranger. Aujourd’hui, c’est plus de 14 %. Il y a quelques décennies, la Suède était l’un des pays les plus homogènes de la planète. Aujourd’hui, 20% des personnes qui y vivent sont d’origine étrangère. Cette transformation s’opère tout aussi rapidement en Allemagne et dans d’autres démocraties du monde.
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C’est précisément parce que les politiciens n’ont pas planifié le changement démographique et l’ont même nié pendant des décennies dans de nombreuses démocraties que de réels problèmes surgissent. Il y a en effet des immigrés qui ne parviennent pas à s’intégrer ou même refusent de le faire. Même après plusieurs décennies, certains d’entre eux manquent encore de compétences linguistiques. Le fossé social entre les soi-disant Allemands de souche et les descendants d’immigrés reste important. Et des problèmes encore pires sont apparus à plusieurs reprises ces dernières années.
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Mais la plus grande erreur que commettent les partisans de la prétendue thèse du grand remplacement ne concerne pas le passé ou le présent, mais l’avenir. Quelques démocraties, comme le Japon, restent très homogènes. S’ils sont prêts à vivre avec les conséquences négatives d’un déclin rapide de la population, ils peuvent légitimement choisir de le rester. Mais la plupart des pays démocratiques sont déjà très diversifiés aujourd’hui et, même s’ils restreignent drastiquement l’immigration future, ils le deviendront encore plus dans les années à venir.
Les plans visant à empêcher ces changements sans recourir à une force massive sont voués à l’échec. Même les provocations verbales lancées par les politiciens populistes n’ont en réalité que peu d’effet : la proportion de Blancs dans la population américaine a continué de diminuer pendant le mandat de Trump. Ainsi, la seule façon d’inverser les changements démographiques des dernières décennies serait d’agir avec une incroyable cruauté. Il y a eu beaucoup de “nettoyage ethnique” dans l’histoire humaine. Personne ne devrait exclure à la légère un tel scénario. C’est un avenir que nous devrions tous craindre.
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Les pessimistes de tous bords ont raison de dire que la grande expérience peut échouer. Pourtant, il serait erroné de se contenter d’une vision de l’avenir dans laquelle les membres de groupes identitaires différents auraient peu de contacts les uns avec les autres dans la vie quotidienne ; dans lequel les clivages politiques et culturels les plus importants se prolongent à jamais entre chrétiens et musulmans ou entre Allemands de souche et migrants ; ou les hommes politiques rêvent même de revenir à un passé plus homogène.
La route du succès pour la grande expérience est semée d’embûches. Mais l’échec serait bien trop cruel pour nous permettre de nous contenter de moins ou de nous arrêter à mi-chemin.
Merci à Paul