Anne de Guigné publie « Le Capitalisme woke. Quand l’entreprise dit le bien et le mal » aux éditions Les Presses de la Cité. Sous la pression de la société civile, l’entreprise privée ne se soucie plus uniquement de rentabilité. Elle s’est engagée dans la grande marche vers le bien, embrassant tous les combats de l’époque. Très présent aux États-Unis, ce mouvement gagne peu à peu l’Europe, au risque d’organiser une forme de privatisation de l’intérêt général. Extrait 1/2.
(…) Uber, le New York Times, JP Morgan ou Nike ont par exemple décidé d’accorder à leurs collaborateurs un nouveau jour férié, le 19 juin, qui célèbre l’abolition de l’esclavage au Texas en 1865. Certains groupes se sont fixé des quotas de diversité. Adidas a ainsi annoncé que 30 % de ses embauches aux États-Unis seraient réservées à des personnes noires ou d’origine latino-américaine. Les chiffres parlent en effet d’eux-mêmes : selon les données de la Commission d’État pour l’égalité des opportunités d’emploi, les personnes noires ne représentaient fin 2020 que 1 % des patrons des 500 plus grands groupes américains et 3 % des cadres supérieurs. Dans ce contexte, le terme woke a d’abord été utilisé par les Noirs américains, pour qualifier des personnes « éveillées », sensibilisées aux injustices liées à la race. (…)
Les DRH des grands groupes américains ne semblent pas étreints par cette angoisse. Ils ont ouvert grandes leurs portes à quantité de nouveaux prophètes de l’antiracisme, faisant appel à des diversity trainers, chargés d’éradiquer à coups de formations et de conférences les préjugés de leurs employés. Début 2021, des salariés de Coca-Cola ont fait fuiter des diapositives issues d’un cours en ligne « pour lutter contre le racisme ». Cette formation leur apprenait à se comporter comme des personnes « moins blanches », c’est-à-dire à adopter une attitude « moins ignorante », « moins oppressive », « moins arrogante ». L’auteur du cours, Robin DiAngelo, est l’une des théoriciennes américaines les plus en vue de cette nouvelle école racialiste. Au siège de Disney, la direction a pour sa part assumé le fait d’organiser une forme de ségrégation au sein de ses employés en créant trois groupes affinitaires destinés aux personnes latinos, asiatiques et noires. Les employés blancs ont été de leur côté invités dans d’ubuesques sessions de formation à faire la liste de tous leurs privilèges et à s’interroger sur les origines de leur patrimoine. N’aurait-il rien à voir avec le « racisme structurel de la société américaine » ? Le journaliste Christopher Rufo, à l’origine des révélations sur Disney, a également relaté l’existence, dans certains groupes, de stages de quasi-rééducation, réservés aux hommes blancs hétérosexuels. La société de conseil au nom prophétique de « White Men As Full Diversity Partners » a par exemple organisé pour Lockheed Martin, la première entreprise américaine de défense et de sécurité, un séminaire de trois jours destiné à ses hauts cadres dirigeants blancs et ayant pour objet de déconstruire leur « culture de privilèges ».
(…) Les grandes maisons du luxe font les yeux doux à cet antiracisme militant pour se protéger de très néfastes procès en appropriation culturelle. Gucci, une marque phare de Kering, s’est ainsi retrouvé dans la tempête au printemps 2019, pour avoir lancé un col roulé décoré de larges lèvres rouges, jugé raciste, car pouvant évoquer une blackface, une caricature de visage noir. Afin de se faire pardonner, le groupe a depuis multiplié les dons à des associations de lutte contre les discriminations et les séminaires de sensibilisation. Le monde de la mode semble à vrai dire globalement si déconnecté que la mannequin britannique Lily Cole a réussi le tour de force de poster sur Instagram une photo d’elle en burqa, légendée d’un engagé « Accueillons la diversité », le lendemain de la prise de Kaboul par les talibans. L’industrie cosmétique, directement exposée par ses produits à ces questions de couleur de peau, a également franchi le Rubicon. En juin 2020, L’Oréal annonçait ainsi retirer « les mots blanc/blanchissant, clair, de tous ses produits destinés à uniformiser la peau ». Le groupe français suivait son concurrent américain Johnson and Johnson, propriétaire notamment des marques Neutrogena, RoC ou Le Petit Marseillais, qui avait déclaré plus tôt abandonner la production de substances éclaircissantes commercialisées en Asie et au Proche-Orient. « Les débats des dernières semaines ont mis en lumière le fait que le nom ou les descriptifs de certains produits de nos gammes Neutrogena et Clean & Clear représentaient la blancheur et la clarté de peau comme plus belles que d’autres couleurs », avait justifié la société.
(Merci à Blaireau Bondissant)