La mort d’Yvan Colonna en mars dernier a mis en lumière les conflits identitaires qui traversent le milieu carcéral.
Au coeur de ces tensions au sein du milieu carcéral, deux communautés principales se distinguent, mises en lumière lors du meurtre d’Yvan Colonna en mars dernier : les nationalistes corses et les islamistes. (…) “Beaucoup les regardaient d’un mauvais œil, surtout les islamistes, car ils les associaient à des types attachés à leur terre et à leur culture, pas très accueillants envers les étrangers”, abonde David, “convaincu” que l’affaire Colonna va aggraver la situation.
Les tensions entre ces deux groupes ne sont pas nouvelles. Au milieu des années 1990, l’institution pénitentiaire est confrontée à un processus de “pluralisation religieuse”, avec l’arrivée de détenus islamistes et terroristes. “Ces derniers vont progressivement se constituer en communauté, et remplacer celles des pays de l’Est alors majoritaires, qui n’étaient pas centrées sur la religion”, débute Meyer, chercheur spécialisé dans la lutte contre la radicalisation islamiste en milieu carcéral, qui tient à garder son nom de famille secret, pour des raisons de sécurité. “Une fois installés, ils vont commencer à organiser des prières collectives durant les promenades, se coopter dans les ateliers de travail, et exercer des pressions sur les autres détenus pour encadrer la vie en détention”, complète un ancien directeur de plusieurs établissements pénitentiaires, qui souhaite garder l’anonymat.
Mais les Corses, eux, ne vont pas céder si aisément. “Ce sont ceux qui ont montré le plus de résistance, et ce alors que beaucoup de détenus se sont convertis à l’Islam, 25 % à partir de 2010”, évalue Meyer, qui tire ces chiffres d’études empiriques menées dans cinq maisons centrales. Depuis, les conflits entre ces communautés perdurent, tout comme le prosélytisme. D’après les chiffres de l’administration pénitentiaire en septembre 2021, sur les quelque 68 000 personnes incarcérées, 600 seraient des détenus “de droit commun suspectés de radicalisation” (DCSR).
“Créer un rapport de force”
La dimension religieuse n’est cependant pas la seule à structurer les relations carcérales. Le racisme, par exemple, produit aussi des oppositions. “Dans un établissement pénitentiaire sur lequel je travaillais, les Noirs rejetaient totalement les Arabes, car ils estimaient qu’ils avaient joué un rôle fondamental dans l’esclavage de leurs ancêtres. Dans une autre structure, les Noirs africains s’opposaient cette fois aux Noirs des Dom-Toms, qu’ils accusaient d’être pires que les Blancs concernant le mépris qu’ils portaient sur leur continent”, développe Farhad Khosrokhavar, sociologue et directeur de recherche à l’EHESS. Avant d’ajouter : “La prison peut même créer des formes communautaires qui n’existent pas à l’extérieur. Un détenu blanc m’avait ainsi confié qu’il s’était regroupé avec d’autres Blancs, parce qu’ils étaient minoritaires. Ils se percevaient alors comme les vrais représentants de la nation, contrairement aux autres, qui étaient à leurs yeux des étrangers”.
(…) “Au moment où les détenus débutent leur peine, ils résident pendant quelques jours au quartier d’arrivants. Là, on va identifier leur profil – âge, religion, fumeur ou non -, pour pouvoir les affecter avec des détenus qui leur ressemblent le plus possible s’il y a de la place, et éviter ainsi les tensions ultérieurement”, soutient Jérôme Massip, secrétaire général du syndicat pénitentiaire des surveillants.
Merci à BB.