FIGAROVOX/TRIBUNE – Les deux principaux suspects qui ont tué Philippe Monguillot le 5 juillet 2020 ne risquent plus la prison à perpétuité. La juge d’instruction en charge du dossier a décidé de requalifier les faits. Pour la psychologue Marie-Estelle Dupont, cette affaire montre que notre rapport à la violence a profondément changé.
(…) Véronique Monguillot a vu sa vie brisée de la façon la plus absurde il y a bientôt deux ans. Deux ans sans dormir, deux ans de douleurs, de sidération et de larmes parce que la pulsion de mort a fait irruption sans que rien ni personne ne puisse l’arrêter. Deux ans à attendre que la société fasse son travail de rétablir l’ordre. Pour recevoir la gifle la plus violente qui soit: la mort de son mari a été niée, minimisée, banalisée, fragmentée.
Sur les plateaux de télévision, d’aucuns affirment que la justice n’est pas laxiste mais manque de moyens. C’est un point de vue. Mais quand bien même, ce manque de moyens n’est-il pas le symptôme d’un refus de nos politiques d’assurer jusqu’au bout les missions régaliennes ? Celles qui finalement définissent l’État moderne depuis François Ier.
Ce manque de moyens n’est-il pas le signe d’un déni, voire d’une complaisance, d’une tolérance mal placée à l’encontre de la violence ? Ne comprend-on toujours pas que c’est l’interdit (de tuer, de l’inceste etc.) qui est garant de la survie de l’espèce et du groupe ? L’intolérance est totale sur des opinions, voire des questionnements. Au nom du bien il faut interdire de dire, de penser, et souvent d’interdire. En revanche, en ce qui concerne les actes de barbarie, la complaisance ne manque pas. Ce constat quotidien est source de désespoir pour nombre de nos concitoyens qui ne s’identifient plus à notre société.
(…) Requalifier des faits au motif que l’on peut «lyncher sans vouloir tuer» dans une situation où la victime de ces actes de barbarie est décédée, révèle à quel point nous avons intégré dans nos mentalités la régression psychique majeure de notre époque. La barbarie, la torture, l’absence totale d’anticipation des conséquences de nos actes, tout cela est devenu plus ou moins acceptable chez des adultes.
(…) Le déni de la violence est souvent plus violent que le coup porté. «La justice doit prendre le recul nécessaire», nous dit-on. Le recul n’est pas l’absence de bon sens ni d’empathie me semble-t-il.
(…) Or, une cour d’assises avait le mérite de maintenir l’empathie. Les jurés citoyens s’identifiant aux victimes ils demanderont une peine qui rétablisse le sentiment de justice. Les cours criminelles ne peuvent requérir la perpétuité. Tout au plus 20 ans et, faute de place, les condamnés sortiront certainement bien avant.