Résumé
Nupes, affaire Taha Bouhafs : assiste-t-on au retour d’une gauche autoritaire ? Comment expliquer cette tendance de la principale force de gauche aujourd’hui à renouer ainsi avec les pratiques opaques que l’on croyait dépassées ?avec :
Thomas Guénolé (Politologue), Stéphanie Roza (Chargée de recherches au CNRS, spécialiste des Lumières et de la Révolution française.), Maud Le Rest (Journaliste, spécialiste de l’histoire des féminismes), Fatima Benomar (Co-fondatrice du mouvement #NousToutes).En savoir plus
Le 10 mai 1981, la gauche unie arrivait au pouvoir après que sa frange radicale ait accepté le leardership de la gauche modérée. Aujourd’hui, c’est le contraire. Au sein de la Nouvelle Union Populaire Economique et Sociale, ce qu’il reste de la gauche modérée s’est rangé sous la bannière radicale de Jean-Luc Mélenchon pour présenter un programme commun qui sera défendu par ses candidats à la députation le mois prochain.
Or, l’Union à peine constituée, le parti même de Jean-Luc Mélenchon La France insoumise s’est retrouvée sur la sellette la semaine dernière, avec le retrait de l’une de ses figures montantes, le jeune militant Taha Bouhafs pressenti pour être candidat dans la 14ème circonscription et qui a dû se retirer en raison d’accusations non prouvées d’agressions sexuelles et même de viols. L’affaire déjà grave en soi a pris une ampleur politique aberrante quand les responsables de La France Insoumise ont donné le sentiment de soutenir publiquement Bouhaf en attribuant son retrait au racisme ambiant, avant de reconnaitre le motif réel de son éviction une fois celui-ci révélé par les médias.PublicitéPUBLICITÉ
Or, l’histoire de La France insoumise de ces dernières années montre que ses dirigeants ont plusieurs fois invoqué contre des militants des accusations d’agressions sexuelles qui se sont dégonflées par la suite. Au-delà de ces péripéties inexplicables, donc, l’affaire pourrait bien se révéler plus complexe qu’il n’y parait. Les dysfonctionnements et pratiques qu’elle révèle obligent en tous cas à réfléchir. Comment expliquer cette tendance de la principale force de gauche aujourd’hui à renouer ainsi avec les pratiques opaques que l’on croyait dépassées ?
Les invités du jour
Marc Weitzmann reçoit
- Stéphanie Roza, chargée de recherches au CNRS, spécialiste des Lumières et de la Révolution française. Autrice de Lumières de la gauche paru aux éditions de la Sorbonne et de Histoire globale des socialismes : XIXe-XXIe siècle, avec Jean-Numa Ducange et Razmig Keucheyan édité aux PUF.
- Thomas Guénolé, politologue. Auteur de La chute de la maison Mélenchon publié chez Albin Michel.
- Maud Le Rest, journaliste, spécialiste de l’histoire des féminismes.
- Fatima Benomar, Membre de #Noustoutes. Autrice de Féminisme : la révolution inachevée ! publié aux éditions B. Leprince.
Assiste-t-on au retour d’une gauche autoritaire ?
Thomas Guénolé évoque les dérives sectaires du parti La France insoumise, il retrace son parcours : “je suis arrivé à la maison Mélenchon par conviction, par enthousiasme, mettre la question sociale et la question de l’antiracisme au centre, ça me va très bien, mais une fois que vous êtes dedans, en tout cas, moi, c’est ce qui m’est arrivé, ce que j’ai découvert petit à petit, c’est une machine dictatoriale, orwellienne.(…) l’individu doit s’effacer devant la parole du parti (…) Thomas Guénolé esquisse une comparaison avec 1984 de George Orwell, il analyse “on affiche certaines valeurs et on pratique en interne très exactement le contraire”. Maud Le Rest revient sur la sociologie des organisations et indique : “il y a une minorité de gens qui sont autour du leader charismatique qui décide de tout en fait, sans que les militants n’aient jamais leur mot à dire, c’est cela la théorie populiste”.
Fatima Benomar évoque l’affaire Taha Bouhafs : “voilà pourquoi cela a abouti, les victimes se sont tournées vers cette militante qui leur a dit : saisissez la cellule mais écrivez en parallèle à Caroline de Haas, à Sandrine Rousseau et à Clémentine Autain -pour certaines récemment arrivées dans la galaxie NUPES- elles auront beaucoup moins le réflexe d’entraver vos témoignages ; c’est pour cela qu’il y a eu une prise au sérieux de leur parole”.
Stéphanie Roza énonce “quand la réalité des pratiques n’est pas en adéquation avec les principes, ça produit un effet désastreux. Parce qu’à un moment ou un autre le double standard se voit et ça c’est démobilisateur. (…) cette idée d’affaiblir la cause, il faut se défaire de cette illusion”.