«Taxer de « woke » tout ce qui concerne les luttes contre les discriminations et injustices est une tactique qui relève de l’extrême droite.» Journaliste, auteure et militante engagée pour le climat, la défense de la femme et des droits indigènes, la princesse Esmeralda, nous a accordé un long entretien dans lequel elle aborde des thèmes qui la font vibrer. Elle évoque entre autres la place des statues mémorielles, la lutte contre l’hégémonie blanche, la « cancel culture », le racisme structurel et diffus et le néo-colonialisme qui continue de sévir sur les continents africains, sud-américain et asiatique sous la forme d’exploitation des ressources.
La visite royale en République démocratique du Congo qui s’est déroulée du 7 au 13 juin marquait le 60e anniversaire de l’indépendance du Congo. La restitution d’objets au Congo était entre autres au programme de cet événement historique. Des étapes importantes ont été franchies ces dernières années dans le travail de mémoire collective au niveau belge. Une réflexion est notamment en cours depuis plus d’un an et demi au Parlement fédéral sur le passé colonial de la Belgique. Nous évoquons ces points et d’autres avec la nièce du roi Philippe.
En mars dernier, lors d’un entretien sur RTL-TVI, vous aviez confirmé votre position quant aux statues de Léopold II, que vous souhaitiez voir retirées de l’espace public. Ces symboles de l’oppression, de la domination coloniale sont blessants pour les communautés qui subissent le racisme, avez-vous souligné par ailleurs. Votre réflexion aujourd’hui est la même ? Etes-vous toujours favorable au déboulonnage des statues mémorielles?
Princesse Esmeralda. Je suis favorable en tout cas au déboulonnage symbolique. Tout au long de l’histoire, on s’est toujours attaqué aux statues lorsqu’il y avait un changement. La destruction ou le déboulonnage de statues traduit un sentiment de colère. C’est un symbole de ce ressenti que je comprends parfaitement mais il faut aller au-delà. (…)
Le fait d’avoir des statues de colonisateurs et en l’occurrence de Léopold II fait évidemment partie de l’hégémonie blanche. L’espace public est occupé par nos statues de colonisateurs, par nos marchands d’esclaves. Pour les minorités, c’est douloureux car il n’y a pas de contrepartie, il n’y a pas de monuments aux esclaves, aux colonisés.
Malheureusement dans toute la société, on retrouve le racisme et le manque de diversité. Des efforts ont été fournis dans la presse en 2022 notamment. Comme dans le cinéma par exemple, où les Oscars tentent de rectifier le tir.
(…)
Ce racisme est-il plus prégnant au Royaume-Uni qu’en Belgique à vos yeux ?
La Belgique est un territoire plus petit mais on y retrouve aussi des cas de violence policière et de discrimination. Dans un pays grand comme les États-Unis, entre autres, ces bavures sont statistiquement nombreuses et sautent aux yeux, c’est un peu plus déguisé dans nos pays européens. Par ailleurs, nous parlons de racisme ouvert, “éclatant”. Mais il y a aussi beaucoup de racisme inconscient. Le monde en est pétri. Ça touche énormément de gens. On le perçoit dans le cadre récent de la guerre en Ukraine. L’Europe accueille à bras ouverts les réfugiés ukrainiens, c’est formidable bien sûr de la part de ceux qui accueillent, mais on n’a pas le même élan pour les réfugiés de Syrie, de Libye, de Somalie… C’est est douloureux pour tous ces réfugiés qui sont en attente aussi. C’est la trace d’un racisme inconscient, il y a beaucoup de réflexes inconscients qui peuvent faire souffrir. C’est un racisme subtil, que l’on retrouve dans les médias, dans la création, dans la culture, dans la façon dont on parle des minorités.
Il y a trop d’années que notre monde est blanc alors que le Blanc représente 12 % de la population mondiale.