Depuis l’avènement du Brexit le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni connaît une transformation de son immigration. Premier phénomène, le nombre de travailleurs issus de l’Union européenne (UE) a diminué. Alors que le Bureau national des statistiques a estimé leur nombre à 2,41 millions en mars 2020, deux ans plus tard, ils n’étaient plus que de 2,01 millions. Soit 400 000 Européens de moins que le record historique, enregistré en septembre 2017, c’est-à-dire un an après le référendum – un chiffre qui mettait alors à mal l’idée que le Brexit ferait fuir les Européens.
Le coup le plus sévère aura donc été porté par la pandémie : de nombreux résidents ont choisi de quitter le Royaume-Uni pour se rapprocher de leur famille.À LIRE AUSSI : “Partygate” et motion de défiance contre Boris Johnson : une dégringolade en 6 étapes. En fouillant dans les statistiques, on note que les flux ont largement varié selon l’origine des travailleurs. Le nombre d’Européens venus des quatorze pays présents dans l’UE avant l’élargissement de 2004 a progressé : ils étaient 12 000 de plus que deux ans plus tôt. Sur les 33 292 visas de travail qui leur ont été accordés, les Français figurent en première place avec 5 239 visas, soit 16 % de tous les visas européens. Immigration à moindre coût
À l’inverse, le nombre de citoyens issus des pays entrés dans l’UE en 2004 et en 2007 a fortement baissé, précisément de 239 000 personnes. Ce n’est pas une surprise. La grande majorité des Européens venus d’Europe de l’est occupaient des emplois considérés comme peu qualifiés. Les travailleurs qui sont partis pendant la crise du Covid-19 n’ont pas pu être remplacés : les candidats doivent désormais décrocher un emploi rémunéré au moins 25 600 livres (29 900 euros) par an pour obtenir un visa de travail. À moins de décrocher un visa de saisonnier. Malgré ces chiffres, le Royaume-Uni n’est pas devenu du jour au lendemain un pays anti-immigration. Et ce malgré la rhétorique développée par la ministre de l’intérieur Priti Patel, récemment signataire d’un contrat avec le Rwanda pour lui envoyer tous les demandeurs d’asile qui entreraient sans visa au Royaume-Uni. En effet, parallèlement à la baisse de la présence des Européens, le nombre d’extra-Européens a fortement progressé : ils étaient 1,69 million en mars 2022 contre 1,47 million deux ans plus tôt, soit 220 000 de plus. Le contingent le plus important est fourni par l’Asie (774 000) et plus particulièrement l’Inde (296 000). Au cours des douze mois précédant le mois de mars 2022, 80 421 Indiens ont obtenu un visa de « travailleur qualifié », un visa à point conçu sur le mode australien, destiné à travailler dans le pays, sur un total de 182 153 visas attribués. Il y a deux ans, 55 212 Indiens en avaient déjà bénéficié.
Cette évolution a-t-elle provoqué la colère du gouvernement et de Priti Patel ? Non, évidemment, car la ministre de l’Intérieur est sans doute contente de pouvoir contrôler cette immigration. D’ailleurs, comme l’ancien Premier ministre David Cameron l’avait indiqué dans ses mémoires : « Certains activistes libertariens partisans du départ de l’UE vont même plus loin, s’opposant à la liberté de circulation européenne précisément parce qu’elle favorise les migrants de l’UE, surtout blancs, aux dépens des migrants venus du reste du monde, surtout noirs ou asiatiques ». Le souvenir de l’empire britannique et du Commonwealth qui en subsiste, dont les chefs d’États sont d’ailleurs réunis au Rwanda ces jours-ci, n’est jamais très éloigné des esprits britanniques. Enfin, le nombre de visas de travail temporaires, destinés aux travailleurs saisonniers, a progressé de 50 % en deux ans pour atteindre 60 280. Ce n’est peut-être pas une surprise : le plus grand nombre de visas a été accordé aux Ukrainiens (19 614) et aux Russes (2 501). Un moyen pour ces hommes et ces femmes de partir loin du conflit, et pour les employeurs britanniques d’obtenir la main-d’œuvre nécessaire – parfois à moindre coût – pour récolter leurs fruits et leurs légumes et faire fonctionner leurs usines de manufacture de poulet, en crise depuis un an.