L’ancien secrétaire général de la CGT (de 1999 à 2013,) Bernard Thibault, aujourd’hui membre du comité d’organisation des JO, redoute que les pénuries de personnel perturbent la réussite des Jeux olympiques de Paris 2024.
Plusieurs secteurs souffrent de pénuries de personnel. Les JO vont-ils pouvoir y faire face ?
Les JO, c’est aussi un défi social. Or je suis inquiet quant à nos capacités humaines pour faire de ce temps fort une totale réussite. De nombreuses activités subissent des tensions importantes, la restauration, le bâtiment… et ça va être encore pire avec les JO. Je pense aussi aux agents de sécurité privée. Nous avions estimé les besoins à 22 000 agents. Et encore, c’était une évaluation basse ne comprenant pas les initiatives des municipalités qui ouvriraient des fan zones ou autres. Nous ne les aurons pas. Je l’ai dit et je le redis : nous ne disposons pas aujourd’hui des effectifs suffisants pour assurer la sécurité des JO.
Quelles sont les solutions ?
Plus de 300 000 personnes possèdent une carte professionnelle attestant avoir suivi 170 heures de formation. Mais en raison notamment de salaires faibles et d’horaires décalés, le turnover atteint environ 50 % par an. Faute d’arriver à recruter, on improvise. On l’a vu au Stade de France : on fait appel à des gens de bonne volonté qui vont venir quatre heures pour assurer le contrôle à l’entrée. Sauf qu’agent de sécurité, c’est un métier. En avril, en vue des JO mais aussi de la Coupe du monde de rugby, l’État a publié un décret instaurant une nouvelle certification professionnelle spéciale « grands événements » réduisant le volume d’heures de formation à 105. Les syndicats et les entreprises s’y étaient opposés. Cette carte professionnelle ne sera valable que pour ces deux événements. Leurs titulaires ne pourront pas ensuite travailler dans la surveillance ou le gardiennage sans stages complémentaires, pour lesquels aucun financement n’est prévu. Une telle mesure avait été mise en place en 2016 lors de l’Euro de foot. Et cela avait été un échec faute de candidats. On ne peut pas dire que les JO sont un événement sensible et avoir un dispositif de sécurité qui repose sur des personnels n’ayant pas la formation idoine.
Le plan de transport reste encore à l’étude. Comment assurer toutes les liaisons entre les différents sites alors que les chauffeurs manquent à l’appel ?
On a besoin d’au moins 1 500 bus, soit près de 2 000 chauffeurs avec les rotations. Là non plus on n’a pas les effectifs ; vous avez déjà des communes qui suppriment des dessertes de bus par manque de conducteurs. Quand on alerte, j’entends dire qu’il suffira d’emprunter des cars et du personnel sur les dessertes existantes. Ce qui revient à les fermer temporairement pour les habitants concernés. Et ils feront comment, ils marcheront ? Même si c’est bon pour la santé, on a vu mieux en matière d’inclusion territoriale.[…]
Redoutez-vous que les conflits sociaux viennent gâcher la fête ?
Nous prônons des Jeux socialement exemplaires. Pour la première fois dans l’histoire des JO, les organisations syndicales sont impliquées dans leur préparation et leur organisation. Il faut donc les écouter. Nous ne voulons pas qu’ils soient l’occasion de multiplier les formes de travail non déclaré pour réussir les Jeux coûte que coûte. Or, c’est un risque face au manque de personnels qualifiés avec des recrutements effectués dans l’urgence sans respect du droit du travail. Si on veut éviter les conflits, il faut traiter des sujets dès maintenant. Il n’y aura alors aucune raison que les JO soient l’objet de conflits.