Le Conseil d’Etat vient de rendre sa décision dans l’affaire de “traçabilité du mode d’abattage” qui opposait l’OABA au Ministère de l’agriculture.
Les viandes halal et kasher issues des abattages rituels, pratiqués sans étourdissement de l’animal, qui ne trouvent pas preneurs sur ces marchés confessionnels sont dirigées vers le marché conventionnel sans aucune mention informative. Ce système dit de la « complémentarité des circuits de distribution », avalisé par nos gouvernements successifs depuis de nombreuses années, constitue une atteinte majeure à la liberté de conscience des consommateurs.
La protection de la liberté de religion du consommateur juif ou musulman qui souhaite manger de la viande kasher ou halal provenant d’un animal abattu sans étourdissement ne saurait justifier la négation de la liberté de conscience du consommateur qui ne souhaite pas manger une telle viande, au nom des principes éthiques qui le conduisent à refuser la longue agonie d’animaux égorgés à vif.
L’OABA a donc mis en demeure l’Etat français, en février 2020, de prendre les mesures normatives assurant une traçabilité parfaite des viandes issues d’abattages réalisés sans étourdissement qui sont commercialisées, à l’insu des consommateurs, dans le circuit « conventionnel ».
Le Gouvernement n’ayant pas répondu à cette demande, l’OABA a déféré ce refus implicite à la censure du Conseil d’Etat en juin 2020. Après deux ans d’instruction, la haute juridiction a enfin rendu sa décision le 1er juillet 2022. Elle est particulièrement décevante, voire scandaleuse.
Il a en effet rejeté la demande de transparence de l’OABA et nié toute violation de la liberté de conscience des consommateurs, en considérant de façon péremptoire que les dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme « n’imposaient pas à l’Etat de rendre obligatoires des mesures de traçabilité, en vue de garantir à certains consommateurs finals qu’ils ne consomment pas des viandes issues d’abattages pratiqués sans étourdissement ».
La plus haute juridiction administrative française permet ainsi à la filière viande de continuer à tromper les consommateurs en reversant en toute discrétion dans le circuit conventionnel de distribution, le surplus des viandes halal et kasher qui n’ont pas trouvé preneurs sur le marché confessionnel.
Pour l’OABA, cette décision qui bafoue les droits élémentaires des consommateurs mérite d’être contestée devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.
L’OABA a donc décidé d’attraire la France devant la Cour strasbourgeoise en invoquant la violation de la liberté de conscience des consommateurs.
L’OABA espère que, à l’instar de l’arrêt rendu en février 2019 par la CJUE de Luxembourg, le droit et l’éthique l’emporteront sur les considérations économiques et politiques qui ont visiblement parasité le raisonnement du Conseil d’Etat.
Décision du Conseil d’Etat du 1er juillet 2022 :
[…]Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 17 juin 2020, 24 septembre 2021 et 13 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation sur sa demande tendant, d’une part, à ce que soient abrogées les dispositions des notes de service n° DGAL/SDSPA/SDSSA/N2012-8056 du 13 mars 2012 du directeur général de l’alimentation et n° DGAL/SDSSA/SDSPA/N2012-8191 du 26 septembre 2012 du directeur général adjoint de l’alimentation, chef du service de la coordination des actions sanitaires, en tant qu’elles ne prévoient pas la traçabilité parfaite des viandes issues d’abattages réalisés sans étourdissement et, d’autre part, à ce que soient adoptées des mesures réglementaires en vue d’assurer cette traçabilité ;
2°) d’enjoindre au Premier ministre et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de procéder à cette abrogation et à cette adoption ;
[…]Considérant ce qui suit :
1. L’article 1er du décret du 28 décembre 2011 fixant les conditions d’autorisation des établissements d’abattage à déroger à l’obligation d’étourdissement des animaux a complété l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime par un III fixant les conditions relatives au matériel, au personnel, aux procédures et au système d’enregistrements devant être remplies, à partir du 1er juillet 2012, pour l’obtention de l’autorisation préalable dont doivent disposer les abattoirs au sein desquels sont effectuées, par dérogation en vue de la pratique de l’abattage rituel, des opérations d’abattage sans étourdissement. Les modalités d’application de ces dispositions ainsi que de celles de l’arrêté du 28 décembre 2011 relatif aux mêmes conditions d’autorisation dérogatoire ont été présentées par la note de service n° DGAL/SDSPA/SDSSA/N2012-8056 du 13 mars 2012 (ordre de service d’inspection) du directeur général de l’alimentation. Ces modalités ont fait l’objet, également, de la note de service n° DGAL/SDSSA/SDSPA/N2012-8191 du 26 septembre 2012 (ordre de méthode) du directeur général adjoint de l’alimentation, chef du service de la coordination des actions sanitaires, publiant un tableau de questions et de réponses, dont celle figurant sous le n° 57 précise : “ A partir du moment où l’abattage rituel de l’animal peut être justifié par la commande ou la vente d’une partie de la carcasse (carcasse, demi carcasse, quartier ou abats) sur le marché rituel, l’utilisation du reste de la carcasse est autorisée dans le circuit conventionnel. Il ne s’agit pas d’identifier le mode d’abattage sur les documents de vente (ce n’est pas un étiquetage). De même, les carcasses abattues sans étourdissement mais non-acceptées lors de l’examen rituel peuvent être destinées au marché conventionnel “.
[…]5. En premier lieu, les dispositions du code rural et de la pêche maritime citées au point 4 ont été édictées, conformément aux dispositions de l’article 4 du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 citées au même point, dans le but de concilier, dans le respect du principe de laïcité qui impose que la République garantisse le libre exercice des cultes, les objectifs de police sanitaire et l’égal respect des croyances et traditions religieuses, en vue d’assurer, en autorisant à titre dérogatoire la pratique de l’abattage rituel par mise à mort de l’animal sans étourdissement, le respect effectif de la liberté de religion garantie par les stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, eu égard à l’objectif qu’elles poursuivent, ces stipulations n’imposent pas à l’Etat de rendre obligatoires des mesures de traçabilité, notamment par étiquetage, en vue de garantir à certains consommateurs finals qu’ils ne consomment pas des viandes ou des produits carnés issus d’abattages pratiqués sans étourdissement et, par suite, l’association OABA ne peut pas les invoquer pour demander l’annulation de la décision qu’elle attaque.
6. En second lieu, l’association OABA, qui ne se prévaut d’aucune conviction religieuse reposant sur la prohibition de la consommation des viandes ou des produits carnés issus d’abattages pratiqués sans étourdissement, ne peut pas utilement invoquer le principe de laïcité pour demander l’annulation de la décision qu’elle attaque.
7. Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, que la requête de l’association OABA ne peut qu’être rejetée, ensemble ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’association oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l’intérieur et à l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes.
Délibéré à l’issue de la séance du 8 juin 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Mathieu Herondart, ; M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat ; M. Laurent-Xavier Simonel, conseiller d’Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 1er juillet 2022.