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Au-delà de sa personne, l’année qui s’achève aura montré que, dans le « monde manichéen » qu’Alexandre Devecchio décrit, les « méchants réactionnaires » ont cessé d’être des parias sur les antennes de radio et les chaînes de télévision. Eric Zemmour, pilier des plateaux de télévision depuis 2003 devenu candidat à l’élection présidentielle, et toute une génération de voix conservatrices ont pris leurs quartiers dans des médias audiovisuels, d’autant plus accueillants que le contexte électoral les soumettait aux règles renforcées du pluralisme. A l’arrivée, 91 députés d’extrême droite, dont 89 du Rassemblement national (RN), viennent de faire leur entrée à l’Assemblée nationale.

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« Comment cette notion (du Grand Remplacement) a-t-elle pu émerger, sans que personne se demande quand elle est apparue, qui l’a forgée ? Il n’y a eu aucun débat sur ce concept et son origine », note Jean-Yves Camus. Quand ce spécialiste de l’extrême droite a reçu le livre de Renaud Camus, l’écrivain qui a popularisé l’expression, des mains de son éditeur en 2010, ce dernier « ne misait pas un kopeck dessus », se souvient-il. A l’automne 2021, l’essayiste, reçu sur CNews par Ivan Rioufol, jeune retraité du Figaro, se réjouissait d’être repris par le candidat. « En huit ans, j’ai vu la fenêtre d’Overton s’agrandir, se félicite François de Voyer, proche de Marion Maréchal et cofondateur du site identitaire Livre noir, en référence à l’allégorie définissant le cadre des idées politiques acceptables. C’est même devenu une véranda, principalement grâce à Zemmour, qui a élargi le champ du dicible. » Même l’audiovisuel public, qui a longtemps fait figure de forteresse, a fini par se fissurer. Au cours de l’hiver, soucieuse de couper court aux accusations de gauchisme, France Télévisions a ainsi cru bon de proposer à Mathieu Bock-Côté de produire un documentaire. Le projet a échoué uniquement en raison du veto posé par CNews, principal employeur du Canadien.

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Seul Louis Pauwels, journaliste proche de la Nouvelle Droite, a su faire entendre un son de cloche dissonant en créant Le Figaro Magazine, en 1978. Mais, déterminés à sortir de la marginalité, ses représentants refusent peu à peu le statut d’indésirables. En permettant à la droite radicale de créer des « médias dissidents », comme Fdesouche ou TVLibertés, l’arrivée d’Internet a agi comme un cheval de Troie. « Mon constat, c’est que les médias font l’opinion », détaille l’ancien cadre du Front national Jean-Yves Le Gallou, qui crée, en 2002, le think tank Polémia contre la « tyrannie médiatique ». Quand il fait entrer Eric Zemmour dans le salon des Français chaque samedi soir, à partir de 2006, Laurent Ruquier, avec son émission « On n’est pas couché », apporte une aide précieuse.

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Le quinquennat de François Hollande marque un coup d’accélérateur. La droite conservatrice, pourtant peu habituée à battre le pavé, n’en revient pas du succès de La Manif pour tous, qui s’oppose au mariage entre personnes de même sexe. « J’ai été étonnée du nombre et de la durée de la mobilisation. Ça a créé un désir militant », se souvient Charlotte d’Ornellas, catholique conservatrice revendiquée, partie prenante du mouvement. Tandis que le couple Ménard lance le site de la droite « hors les murs » Boulevard Voltaire, des jeunes gens aux antipodes des caricatures poussiéreuses de la génération Le Pen ou des Versaillais en chaussures bateau trouvent le chemin des chaînes d’infos, qui cherchent justement des personnalités tranchées pour pimenter les débats – et soutenir les audiences.

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Le chercheur et spécialiste de l’histoire des médias Alexis Lévrier ne cache pas sa préoccupation. Les idées extrémistes « se sont banalisées dans l’espace médiatique et je ne vois pas les conditions d’un renouveau », explique-t-il, rappelant que « l’emprise de Vincent Bolloré sur les médias n’est pas terminée ». Outre CNews et Europe 1, Vivendi a également mis la main sur deux titres influents, Paris Match et Le Journal du dimanche.

Nul doute que la pression sur les médias publics, très vive durant l’hiver 2021, va continuer de s’exercer. Pour le moment, alors que Sibyle Veil joue sa reconduction à la tête de Radio France, France Inter paraît opter pour l’aseptisation. Les voix les plus identifiables, à droite comme à gauche, sont gommées : la saison prochaine, seul Guillaume Roquette, du Figaro Magazine, représentera dans la matinale la voix la plus à droite. A gauche, exit l’humoriste Charline Vanhoenacker, place à Matthieu Noël, ex-Europe 1, dont les sketchs ne s’aventurent jamais sur le terrain politique. « La logique, ce n’est pas de trouver un autre Alexandre Devecchio sur France Inter, confirme Jean-Yves Le Gallou. La logique, c’est de rétablir le pluralisme, ce qui signifie entendre 30 % ou 35 % de journalistes sur cette même ligne. » Le ton est donné.

Le Monde

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