Vous avez publié Un chagrin français quelques semaines avant l’élection présidentielle. Ses résultats confirment-ils le diagnostic que vous y posiez ?
Je le crains. Parmi les trois mots analysés dans mon livre pour illustrer l’impasse dans laquelle se trouve le débat public, j’ai tenu à débuter par le chapitre « populisme ». Je m’efforce d’y démontrer l’autarcie intellectuelle dans laquelle s’est enfermée une partie de nos élites à l’égard des classes moyennes et populaires, les privant d’avoir « voix au chapitre ». Le combat républicain a eu, ces dernières années, les yeux tournés vers la flambée extrêmement inquiétante de communautarismes religieux ou culturels, mais il existe également en France une sorte de communautarisme social. Les différentes sociologies se croisent de moins en moins, se comprennent de moins en moins, et votent les unes contre les autres. C’est un poison lent pour la République.
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Pour interroger la notion de populisme, vous identifiez notamment la fracture entre le peuple et ses dirigeants, entre vainqueurs et vaincus, par exemple à travers la séparation croissante entre les centres-villes et leurs périphéries. Comment résorber ce fossé ?
La politique d’urbanisation et les prix de l’immobilier ont, au fil des dernière décennies, séparé de plus en plus les différentes catégories de Français, qui avaient jadis davantage de « points de contact » (l’école, les colonies de vacances, l’armée ou la messe…). Aujourd’hui, on vit dans des mondes de plus en plus homogènes socialement et culturellement. Nos dirigeants n’ont pas anticipé la manière dont cette partition du territoire, sur fond de désindustrialisation, entraînerait la perte de statut et d’intégration culturelle à la société pour des millions de personnes. Mais tout ne se règle pas par la redistribution ! Il en faut plus pour faire société commune.
L’école, qui autrefois jouait un rôle central dans cette mission, la remplit de moins en moins, créant un sentiment d’injustice profond pour certains, qui ne voient plus à travers elle une possibilité d’avenir meilleur pour leurs enfants. Je crois que c’est-là l’une des plus grandes causes du « malheur français ». Il faudrait des mesures tranchantes pour inverser la tendance, qui nous paraissent peut-être irréalistes aujourd’hui mais qui finiront par s’imposer.
Enfin, je pense qu’il faut aussi une démarche individuelle de chaque citoyen. Il nous faut lutter contre cette pente qui consiste à croire que si l’autre pense différemment, c’est parce qu’il est bête ou méchant ou pourri. Les réseaux sociaux aggravent ces phénomènes par les biais de confirmation qu’ils nous renvoient, nous rendant de plus en plus allergiques au diagnostic de l’autre. Les torts sont partagés dans toute la société. Mais je pense que c’est aux élites qu’il incombe, par fonction, de faire les premiers pas.
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Face à des sujets qui « fâchent » et pour éviter les anathèmes, vous pointez le silence des citoyens qui abandonnent le débat mené par des procureurs sans nuance. Comment convaincre ces citoyens « intimidés » de ne pas se réfugier dans le fatalisme ? Quelles solutions pour résister à ces « minorités tyranniques » qui semblent imposer leurs normes sans entrave ?
Je reste marquée par l’expérience et les analyses de Kamel Daoud pour qui, finalement, il n’y a qu’une seule chose qui compte, le courage. Face aux intimidations individuelles qui nous font parfois redouter de devenir infréquentables si nous ne nous soumettons pas à une certaine doxa, il nous faut retrouver le courage. Beaucoup, par peur de l’excommunication sociale, ou simplement par « flemme » face au dissensus, préfèrent se taire plutôt que d’exposer leurs arguments, que ce soit entre amis ou à la machine à café. Or ce sont toujours les minorités vindicatives qui font l’histoire quand la majorité se tait. Chacun a peut-être le sentiment que son propre avis ne changerait pas grand-chose. Pourtant ce sont les additions de nos courages individuels qui font ce qu’on appelle l’esprit de défense dont une nation attachée à ses valeurs a besoin.
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L’article en intégralité sur Le Droit de Vivre.