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20/08/2022

Le recteur de la Grande mosquée de Paris a surpris en publiant un tweet violent adressé aux « mécréants », rapidement supprimé. Jusqu’ici, Chems Eddine-Hafiz avait donné l’image d’un homme ouvert et partisan d’un islam compatible avec la République française.

Mais quelle mouche a piqué Chems-Eddine Hafiz ? Samedi 13 août, Salman Rushdie vient d’être poignardé lors d’une conférence donnée aux États-Unis. Les regards se tournent vers l’écrivain en danger de mort, bien sûr, mais également vers les principales figures de l’islam en France pour observer leur réaction. Stupeur : le recteur de la Grande mosquée de Paris (GMP), réputé modéré, publie sur les réseaux sociaux ce qui semble être un hadith islamique au contenu violent. « Les croyants se prosterneront alors que les mécréants ne le pourront guère, leur dos restera raide et lorsque l’un d’eux souhaitera se prosterner, sa nuque partira dans le sens inverse comme faisaient les mécréants dans ce monde, contrairement aux croyants. »

Devant le tollé, le message est rapidement retiré. Hafiz observe les jours suivants un long silence, avant de dévoiler, le 15 août au soir, le contenu d’une lettre ouverte adressée à Salman Rushdie. Ce courrier se veut sans ambiguïté. Critiquant la fatwa ciblant l’écrivain, qualifiée « d’infâme message », le recteur de la GMP y appelle les musulmans à davantage d’ouverture d’esprit : « Le jour où nous comprendrons que la critique de l’islam n’affaiblit en rien notre foi, commencera alors une nouvelle étape vers un possible progrès. »

Une initiative qui correspond davantage à l’image que l’on se faisait de Chems-Eddine Hafiz jusqu’ici. Comment expliquer alors ce message au ton si belliqueux ? Contactée, la Grande mosquée de Paris met en avant des problèmes de traduction, et explique qu’il s’agit d’un malheureux hasard : un tweet programmé par les équipes de communication de l’institution, envoyé automatiquement à un timing particulièrement gênant. « Des termes religieux existent depuis plusieurs siècles, fait-on valoir à Marianne. Leur traduction de l’arabe au français nécessite un effort intellectuel intense. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris a décidé de réorganiser son équipe “réseaux sociaux” afin d’éviter que des mots ou des phrases tirés de leur contexte ne soient détournés pour porter préjudice au message de tolérance et de fraternité de la Grande Mosquée de Paris. » L’instance, qui dénonce des « manipulations inacceptables », dit regretter que la « fâcheuse coïncidence entre un tweet imprécis et un événement tragique ait permis à certains esprits mal intentionnés de nourrir une polémique qui n’a pas lieu d’exister. »

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DOUBLE DISCOURS

Mais plusieurs éléments jettent le trouble sur ses véritables intentions, et empêchent de le décrire comme un irréprochable républicain. Rappelons ainsi que ses premiers pas dans l’univers de l’islam de France furent effectués comme avocat de la Grande mosquée de Paris… qu’il a représentée dans des procès dressés à Michel Houellebecq en 2002 et à Charlie Hebdo en 2006, tous deux accusés d’inciter à la haine des musulmans par leurs écrits et leurs dessins. Les deux procès ont abouti à des relaxes. Aujourd’hui, Hafiz explique qu’il s’agissait pour lui et la GMP de « couper l’herbe sous les pieds des milieux extrémistes et à canaliser le débat vers les prétoires afin qu’il n’ait pas lieu dans la rue. » Dans un débat diffusé par France 24 en 2007, portant sur la fatwa lancée contre Salman Rushdie, Hafiz vantait son mode d’action, consistant à « saisir les tribunaux » tout en jugeant le principe de la fatwa (un avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique) « tout à fait honorable ». Un commentaire au minimum maladroit dans le contexte de la discussion.

Lorsqu’il se déplace en Algérie, le pays de tutelle de la Grande mosquée, Hafiz adapte son discours. Ainsi, lors d’une émission diffusée sur la chaîne arabophone Echorouk TV, fin 2021, il appelle les Algériens et plus largement les musulmans à « faire du lobbying », en participant massivement aux élections afin de « jouer un rôle important dans la politique française ». Lors de la campagne présidentielle, le recteur de la GMP s’était publiquement positionné contre Éric Zemmour et Marine Le Pen, appelant notamment à soutenir Emmanuel Macron lors de l’entre-deux-tours. À la télévision algérienne, il se vante d’avoir déposé quatre plaintes depuis son arrivée au poste de recteur : « Je ne laisserai passer aucune occasion pour montrer que la mosquée de Paris est vent debout pour protéger la communauté musulmane en France, affirme Hafiz. Je ne laisserai aucune personne insulter les musulmans ou les Algériens. » Certains dénonceront une forme de double discours, pratique particulièrement redoutée lorsqu’elle concerne des représentants de l’islam. D’autres y verront une adaptation nécessaire selon l’auditoire que rencontre l’avocat.

ALLIANCE AVEC LES ISLAMISTES

Mais ce qui dérange le plus est le compagnonnage de la Grande mosquée de Paris avec Musulmans de France (MdF), liée aux Frères musulmans. Pour comprendre cette alliance troublante, il faut se plonger dans les luttes d’influence au sein de l’islam de France. À l’origine, le gouvernement souhaitait centraliser la formation des imams, enjeu clef de la diffusion d’un islam compatible avec la République française, en associant l’ensemble des associations musulmanes. Le processus a tourné court à la suite de désaccords autour de la Charte des principes pour l’islam de France, présentée le 18 janvier au président Emmanuel Macron par le Conseil français du culte musulman (CFCM) : alors que plusieurs associations refusent de signer un texte jugé trop contraignant, Hafiz, lui, claque la porte en mars 2021 et dénonce des influences « islamistes » au CFCM, jugeant la charte pas assez exigeante.

La surprise est grande lorsque, fin 2021, la GMP forme un nouveau Conseil national des imams (CNI)… en s’associant notamment avec Musulmans de France, (ex-UOIF), principale antenne des Frères musulmans dans l’Hexagone, dont plusieurs cadres figurent au sein du bureau du tout frais CNI. Comment imaginer lutter efficacement contre l’islamisme, en accordant un rôle de premier plan dans la formation des imams en France à des islamistes patentés ?

D’autant que Hafiz semble s’être rapproché des cadres de Musulmans de France. Le 17 novembre dernier, le président de l’association, Mohsen Ngazou, a été invité à la Grande mosquée de Paris… deux jours avant un déplacement du recteur de la GMP à l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon, dans la Nièvre, considéré comme un centre névralgique de la nébuleuse frériste en Europe.

SOUS SURVEILLANCE

En observant cette troublante alliance, Thibault de Montbrial a tiqué. Président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, cet avocat engagé contre l’islamisme avait pourtant une bonne image du nouveau recteur de la Grande mosquée, rencontré en septembre 2021 en marge d’une conférence : « J’avais été assez séduit, nous explique-t-il. Il s’exprimait bien, tenait des propos intelligents et républicains. Avec le recul, je pense qu’il nous a dit exactement ce qu’on avait envie d’entendre. » Montbrial a signé une tribune dans Le Figaro pour dénoncer l’alliance entre Chems-Eddine-Hafiz et MdF : « Laissera-t-on en France des imams être formés par les Frères musulmans ? », s’insurge-t-il. Hafiz lui a directement répondu dans les colonnes du quotidien conservateur, en assurant qu’un « Conseil national des imams infiltré par des ennemis des valeurs républicains n’existerai[it] jamais », sans toutefois s’exprimer au sujet des liens qui unissent Musulmans de France aux Frères musulmans.

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Marianne


14/08/2022

Tweet supprimé


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