Dans un pays instable politiquement, où la situation économique est dégradée et les perspectives faibles, la migration illégale se banalise et touche tous les milieux et toutes les tranches d’âge.
[…]La migration clandestine s’est banalisée et touche tous les milieux et toutes les tranches d’âge, selon cette enseignante. Dans le quartier, deux lycéennes sont parties juste après leur baccalauréat, en juin. Quelques jours après la nouvelle du naufrage, une famille entière avec quatre enfants a tenté une traversée pour faire soigner à l’étranger l’un des fils en situation de handicap.
Le phénomène a pris de l’ampleur ces derniers mois dans le pays. Depuis le début de l’année, 13 700 migrants tunisiens ont atteint les côtes italiennes, en hausse de 18 % sur un an, indiquait à la mi-septembre le Forum des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG tunisienne. La marine nationale a empêché les départs de près de 23 217 candidats à l’exil.
Si certains, comme dans le cas des migrants de Bouhajla, ont encore recours à des réseaux de passeurs, les jeunes des régions côtières se débrouillent désormais seuls pour éviter les escroqueries et les dangers d’un bateau surchargé selon l’expert Matthew Herbert, auteur de plusieurs rapports sur la migration pour l’ONG Global Initiative. « C’est ce que l’on peut appeler “l’auto-passeur” : un jeune qui va acheter avec un groupe d’amis, un bateau, ou le louer, trouver le moteur, l’essence et partir avec un GPS pour rejoindre les côtes italiennes », dit-il, ajoutant que ce nouveau phénomène, observé depuis la pandémie, contribue avec les réseaux sociaux « à démystifier la traversée. Le côté tabou ou honteux de partir clandestinement s’efface. C’est désormais un projet collectif et assumé ».
[…]En attendant, « comme à chaque crise, les mouvements migratoires s’intensifient », explique Wael Garnaoui qui estime que la perte de confiance est aussi amplifiée par le départ massif des élites. « Lorsqu’un Tunisien voit les médecins et les ingénieurs partir légalement depuis des années et les infrastructures de base se détériorer, il ne croit plus à une amélioration de la situation et veut suivre le mouvement. » Entre 2015 et 2020, plus de 39 000 ingénieurs et près de 3 000 médecins ont quitté le pays légalement, pour aller travailler à l’étranger