04/10/2022
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Vous accusez Sandrine Rousseau ?
Elle est allée trop loin. Et tout le monde le mesure. Pour moi, il ne faut pas confondre féminisme et maccarthysme. Féminisme, oui évidemment, toujours. Le maccarthysme est un tout autre sujet. C’est dire : « J’ai des listes d’hommes », c’est porter des accusations que vous ne pouvez contredire, car il n’y a pas d’enquête. C’est aussi une tétanie qui frappe l’opinion publique et mon propre parti. Beaucoup à EELV m’écrivent pour me dire que c’est allé trop loin, mais ils n’osent le dire en public. Ce n’est pas un excès du féminisme, c’est un dévoiement. Le mouvement #metoo est une révolution nécessaire et inachevée. Mais je ne confonds pas les soubresauts, les combats nécessaires, les avancées, le militantisme de cette génération qui compte et qui aspire à l’égalité, avec ce dévoiement. On ne balance pas à une heure de grande écoute la situation psychologique de quelqu’un qui souffre ou des accusations sans éléments. Moi, il m’arrive de dire que je ne vais pas répondre, quand il s’agit de vie privée et de protection des personnes.
Les féministes répètent que « le privé est politique », que l’éthique politique peut parfois exiger un standard plus élevé encore que celui de la justice. Le combat pour l’égalité doit-il s’arrêter à des comportements qualifiables dans le code pénal ?
Le privé ne doit pas être instrumentalisé à des fins politiciennes. Les écologistes se sont appliqué des règles plus strictes comme le non-cumul des mandats, la transparence des frais de mandats, de parité, pour faire bouger la société. Mais on n’était pas dans l’intime et la vie privée. Les organisations politiques au sens large peuvent se donner un cadre plus exigeant, mais dans le respect des personnes, de la vie privée, de la justice et de l’Etat de droit.
Selon une enquête de « Libération », vous auriez été mis « sous surveillance » par des militantes féministes. Adhérez-vous à ce récit ?
C’est très dur de voir sa vie privée exposée. On ne devrait pas en passer par là. Mais oui, en 2019, j’ai dû demander à une femme militante de cesser d’enquêter sur moi, et surtout de colporter rumeurs et accusations sans preuves. Elle disait partout : « Le mec est pas “safe”, il y a forcément un truc. » J’ai réfléchi à déposer une main courante, mais j’ai choisi de ne pas le faire. Ça devenait une croisade. Libération raconte un acharnement, qui a tourné à la souffrance y compris pour la personne qu’elle prétendait défendre. J’y vois une instrumentalisation en vue d’un règlement de comptes. Cette personne fait partie de la cellule, ce qui pose question.
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30/09/2022
En 2019, Julien Bayou et Aline, 39 et 32 ans à l’époque, décident de s’engager davantage. C’est à ce moment-là qu’un petit groupe de femmes se met à enquêter sur lui. En cause : sa réputation de «coureur», multipliant les relations avec des femmes plus jeunes, souvent militantes féministes, qu’il finit par quitter et décevoir. «Il se met très souvent avec des meufs fragiles, attirées par la lumière et honorées de sortir avec lui et il peut être particulièrement lâche, mais ce n’est pas un crime», décrit un cadre écolo proche de la direction. Une scène éloquente, datée du début de l’histoire de Julien Bayou et Aline, est racontée à Libération. Elle se déroule à Paris lors d’une soirée militante. Ce soir-là, Julia (1) militante écolo et proche de Bayou, est approchée par Eugénie (1), une amie d’Aline. Eugénie – qui n’a pas souhaité s’exprimer auprès de Libération – est aujourd’hui membre de la cellule violences sexuelles et sexistes (VSS) d’EE-LV et de la commission féminisme du parti. En 2021, lors de la primaire présidentielle écolo, elle a fait partie de l’équipe de la candidate Sandrine Rousseau. Ce soir-là, rapporte Julia, «elle vient me voir et me dit : “Je sais qui t’es, tu connais bien Bayou. Je sais ce qu’il se passe avec lui, il faut que ça s’arrête. Sache-le, il est avec une autre personne. On enquête pour savoir si c’est un mec bien pour elle, parce qu’elle a vécu des choses dures. Il ne faut pas qu’elle tombe sur un prédateur”». Le propos laisse Julia interloquée : «Je lui réponds que de mon côté, il n’y a rien à gratter, et qu’on ne colporte pas des accusations comme ça à une soirée, raconte Julia. Elle m’a dit qu’elle tenait à me prévenir, que c’était ça la sororité.»
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Le 30 avril 2019, se sentant dans le viseur, Julien Bayou rédige un projet de mail à l’attention d’Eugénie, avant de se raviser à la demande d’Aline. On y lit : «Comme je te l’ai dit, je ne vois pas comment je pourrais t’empêcher d’“enquêter” sur moi, à la condition que tu respectes quelques précautions de base. J’entends et comprends qu’en tant que militante féministe et que par amitié pour Aline tu te sentes, comme tu me le disais, “investie de cette mission” […] Mais je voudrais que nous reprenions ici quelques points, parce que : – il est violent de voir sa vie privée scrutée, fouillée, exposée – je ne voudrais pas que ma relation avec Aline pâtisse de tout cela […] Cette affaire ne peut pas durer éternellement. Une fois que plusieurs de mes ex t’ont expliqué́ que non, je n’étais ni harceleur, ni agresseur, je ne perçois pas ton objectif ou la suite de cette démarche.» Dans son projet de mail, Julien Bayou évoque aussi le sentiment de malaise d’Aline : «Il me semble également qu’elle t’a signifié dernièrement qu’elle souhaitait que cette situation cesse, puisque 1) elle s’était elle-même livrée à de petites vérifications auprès de mes ex 2) aucun problème de consentement ne se posait 3) cette situation lui pesait et qu’elle souhaitait qu’elle et moi puissions avancer.» Nerveux, celui qui deviendra sept mois plus tard le patron d’EE-LV vit sous la pression de cette enquête officieuse et de ses possibles conséquences politiques.
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Dans ses échanges avec plusieurs personnes, Aline oscille. Par moments, elle explique que, selon ses recherches approfondies, il ne s’agit que d’histoires d’amours déçues. A d’autres, elle dépeint un «prédateur». Ces changements s’entremêlent avec des sentiments contradictoires à l’égard de Julien Bayou. La trentenaire, à laquelle on raconte des histoires de tromperie de la part de son ex-compagnon, alterne entre colère, détresse et reconnaissance à son égard pour son soutien depuis la rupture, qu’elle vit mal. Le 30 juin, à 18 heures, plusieurs cadres écolos, le père et la sœur de Julien Bayou, mais aussi Eugénie, Victoria, Sandrine Rousseau et la cellule contre les VSS d’EE-LV, reçoivent un mail. Aline y écrit : «Combien sommes-nous de meufs brillantes douces douées à avoir complètement vrillé, parfois sous vos yeux, sans que jamais vous vous disiez qu’il y avait peut-être un problème avec Julien ? C’est un manipulateur, lâche et dénué d’empathie.» Dans ce mail, elle fait part de sa volonté de mettre fin à ses jours pour «protéger les autres», «éloigner Bayou des lieux de pouvoir et de militance où il peut prédater». Elle s’excuse aussi auprès d’Eugénie pour «avoir mis autant de temps à comprendre», et de Victoria, pour ne pas avoir pris la mesure de la douleur provoquée par sa rupture avec l’élu écolo. Quelques heures plus tard, la cellule, dont fait toujours partie Eugénie, s’autosaisit. Depuis, Julien Bayou l’a sollicitée à plusieurs reprises pour pouvoir se défendre. A chaque fois, l’entité a refusé, n’ayant pas encore recueilli le témoignage de la victime présumée, qui ne souhaite pas être entendue.
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Sur le plateau de C à vous, Sandrine Rousseau confirme, elle, être au courant, et évoque «des comportements de nature à briser la santé morale des femmes». «Doit-il quitter la tête d’EE-LV ?» l’interroge-t-on. «Step by step», répond-elle. Une grande partie de la gauche murmure alors son indignation : pourquoi rapporter des accusations qui semblent si dures à rendre juridiquement tangibles ? Contactée à plusieurs reprises par Libération, Sandrine Rousseau n’a pas donné suite. «Je ne pense pas qu’elle pense au congrès ou qu’elle veuille buter Julien mais elle veut garder le totem du féminisme, analyse une écolo, engagée dans le combat féministe. Elle ne pouvait prendre le risque de dire “je n’ai pas les éléments pour en dire plus” parce qu’elle aurait perdu la course qu’elle a elle-même initiée dans laquelle plus tu pousses loin, plus t’es la bonne féministe.» Beaucoup au sein des mouvements écolos et féministes considèrent désormais qu’on court un peu trop vite, alors que la libération de la parole des femmes pose des dizaines de questions qui demandent le temps de la réflexion. Mais rares sont ceux qui osent le dire autrement qu’anonymement, de peur d’être rangés du mauvais côté de l’histoire. «Il n’y a pas d’espace pour faire une critique de la position de Sandrine, pas d’espace pour dire que ce qui arrive à Julien n’est pas juste et que ça dessert la cause», poursuit la même militante.
Ce féminisme, qui se définit lui-même comme «radical», a pris de plus en plus de place au sein d’EE-LV ces dernières années. A commencer par la cellule et la commission féminisme, qui comptent des militants engagés sur ces sujets qui se sont rapprochés de Sandrine Rousseau depuis son retour dans le parti en 2020. «Quand je critique le fonctionnement de la cellule, qui n’offre pas l’opportunité de se défendre aux présumés coupables, on me dit “fais attention, ça peut se retourner contre toi”, raconte une élue EE-LV. Vous imaginez à quel point elles ont gagné le combat culturel pour en arriver au fait de ne pas pouvoir dire qu’on est en désaccord ?» «C’est hypocrite de mettre tout ça sur Rousseau, nuance tout de même un militant écolo. La direction a entériné ces procédés. Elle les a théorisés. C’est une dérive globale. Bayou lui-même a beaucoup joué au chevalier blanc sur ces sujets. Mais on arrive à un stade où on va être obligés de réfléchir à ces questions tous ensemble.» Pour sortir la gauche du malaise immense qui la tient, entre nécessaire libération de la parole des femmes et des procédures informelles ouvrant la voie à d’inquiétantes dérives.
(1) Les prénoms ont été modifiés.