La magistrate a alerté sa hiérarchie à plusieurs reprises des tentatives d’intimidation dont elle était l’objet dans un dossier de crime organisé à Nantes.
(…) Magistrate expérimentée, la quadragénaire est spécialisée dans le crime organisé et les trafics de stupéfiants, un curriculum vitæ peu impressionnant pour les caïds nantais de la nouvelle génération. « Barjot », « cinglée », « ratée », « va te faire enculer » : au cours d’auditions menées par la magistrate entre 2020 et 2021, trois d’entre eux ont multiplié les insultes. Puis sont passés aux menaces. Le 22 septembre 2020, le premier lance à la juge : « Si vous vous faites rafaler ou renverser par une voiture en sortant du tribunal, je serai content. » « Tout se paie dans la vie », renchérit un autre, sept mois plus tard. A l’été 2021, le dernier n’hésite pas à laisser une trace écrite dans un courrier : « Je vous lâcherait (sic) jamais ». Selon son avocat, Me Antoine Ory, le jeune homme aurait simplement fait part de sa volonté de porter plainte contre la magistrate. Il n’a pas été poursuivi pour ses propos.
Ces menaces ne sont pas proférées à la légère. Mohamed A., le plus virulent, n’a pas 30 ans et a déjà échappé à deux tentatives d’assassinat. A Nantes, c’est un poids lourd engagé dans une sanglante guerre des clans pour le contrôle du trafic de stupéfiants. Avant de se pourvoir en cassation, il a été condamné pour le vol d’un véhicule ayant servi à une expédition punitive contre le Copacabana, un bar à chicha de l’île Beaulieu, le 15 mars 2019 – un homme y a été grièvement blessé. Il est également suspecté d’être lié à la fusillade du Moonlight, un autre bar à chicha où un jeune homme de 24 ans, neveu du gérant, a été abattu par erreur quelques semaines plus tard au cours d’une véritable équipée meurtrière menée par plusieurs tireurs équipés d’armes de guerre et circulant à bord d’une voiture puissante et à scooters de grosse cylindrée. Les enquêteurs de la police judiciaire sont convaincus que, ce soir-là, le commando visait un rival. Et que les deux autres détenus ayant menacé la magistrate, Ossama H. et Illias N., en faisaient partie.
Leurs manœuvres d’intimidation auraient pu rester au stade de rodomontades de détenus si d’invraisemblables bourdes commises par la justice n’avaient subitement accru l’inquiétude de la magistrate : en l’espace de six mois, les trois hommes ont été remis en liberté. Illias N. est sorti de prison, le 8 février 2022 : la justice n’a pas examiné dans les délais son appel contre une décision lui refusant une mise en liberté.