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Non, ce noble sentiment, qu’on appelle «patriotisme», n’est pas spontané. Il est le fruit d’une éducation patiente aux lois de la cité. Il n’a pas toujours existé, mais est né à un moment précis de l’histoire des hommes. C’est une «construction sociale» comme diraient les demi-habiles d’aujourd’hui empressés de tout déconstruire. Michel De Jaeghere n’est pas de ceux-là. Et s’il nous relate dans La Mélancolie d’Athéna (Les Belles Lettres) l’invention du patriotisme dans la Grèce antique, ce n’est pas pour en relativiser la nécessité, mais au contraire pour mieux nous en faire comprendre la précieuse fragilité.

Dans Le Cabinet des antiques , son précédent livre, Michel De Jaeghere s’interrogeait sur l’héritage politique que nous avaient laissé les Anciens. Notre conception de la démocratie, de la citoyenneté avait-elle quelque chose à voir avec celle des Grecs et des Romains? Dans ce livre, il nous rappelle que la conception du patriotisme qui les animait nous est aujourd’hui étrangère, nous qui voyons les poilus comme les victimes d’une boucherie et ne «voulons plus rien devoir à ce qui est hérité sans avoir été consenti». «Nous prétendons déterminer jusqu’à notre sexe: comment subirions-nous le choix de notre patrie?»

Dans ce livre passionnant, d’une érudition qui donne parfois le vertige, le directeur du Figaro Histoire nous raconte le siècle de Périclès, ce Ve siècle avant notre ère qui a vu la Grèce accoucher de trésors de civilisation inégalés, mettre au point un idéal civique fondé sur la délibération rationnelle, cultiver un patriotisme «au carrefour de la piété filiale, de la tradition et de l’esprit critique», puis basculer dans la démesure de la conquête, de l’asservissement des voisins et de la guerre civile. Pendant les guerres médiques, les cités grecques s’étaient unies contre l’ennemi perse, avaient dépassé leurs attachements tribaux pour défendre une civilisation commune contre les barbares. À la suite de la victoire, Athènes avait pris l’hégémonie au sein de la ligue de Délos. Elle avait alors basculé dans l’hubris d’une thalassocratie sans pré carré défini, qui s’était lancée dans un impérialisme insensé. Celui-ci aboutit à la guerre du Péloponnèse, qui vit les hoplites qui combattaient jadis ensemble, boucliers contre boucliers, s’entretuer. (…) Il a manqué à Athènes l’institution politique de la nation, et l’on sent un regret sincère chez cet amoureux de la Grèce que ses splendeurs civilisationnelles n’aient pu rencontrer l’écrin qui fit la gloire des Capétiens.

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Le Figaro

« Nous voici retournés au cœur des contradictions qui rendent cette histoire décisive. Parce que les Grecs se sont posé les questions que nous n’avons cessé de retrouver depuis. Parce qu’ils ont consigné avec une clarté sans pareille les différentes réponses possibles. Qu’ils ont analysé avec minutie les tenants et aboutissants des cas de conscience dont seraient tissés pour toujours nos débats politiques. Ils ont eu le génie de donner aux événements de leur histoire une portée universelle en dégageant ce qui relève, dans leurs causes, des permanences de la nature humaine ; ce qui tient, dans leurs conséquences, des lois de la politique. »

Parcourant le Ve siècle grec, des origines des guerres médiques à la fin de la guerre du Péloponnèse, Michel De Jaeghere ne se contente pas ici de faire le récit frémissant de cet apogée de la civilisation hellénique. Il a suivi à la trace les débats, les dilemmes, les conflits inhérents à la naissance du patriotisme, de sa dilatation dans le panhellénisme à sa caricature en volonté de puissance, et de l’échec tragique auquel la tentation de l’impérialisme avait conduit Athènes, aux crises de sa démocratie. Fidèle à la méthode inaugurée dans son Cabinet des antiques (Les Belles Lettres), il prend appui sur Hérodote, Thucydide, Isocrate, Platon, quelques autres, pour faire dialoguer les textes antiques avec notre propre histoire et tenter de dégager, dans l’expérience des Grecs, ce qu’ils ont à nous dire d’essentiel, de vital sur nous-mêmes. L’histoire du grand siècle d’Athènes en sort comme rajeunie.

Les Belles Lettres

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