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Tous les juges ne sont pas engagés à gauche, loin de là, mais une minorité structurée, dotée d’une stratégie et d’une idéologie, est plus efficace qu’une majorité individualiste et qui n’a pas de visée politique», explique Hervé Lehman au seuil de son ouvrage Soyez partiaux! Itinéraire de la gauche judiciaire.

À travers un itinéraire dense, très technique et souvent édifiant, l’ancien juge d’instruction propose au lecteur de découvrir l’histoire du Syndicat de la magistrature depuis sa naissance dans l’effervescence de Mai 68 jusqu’à la présidence Macron. Né de la contestation des élites, le Syndicat a pour objectif de révolutionner la justice. Il se positionne contre une justice qu’il considère comme bourgeoise: rendue par les bourgeois, pour les bourgeois. Le diagnostic est clair, le chantier reste à faire. C’est d’abord la hiérarchie du corps judiciaire qu’il faut mettre à mal. Dans son appellation même, le groupe se distingue: les magistrats apparaissent dorénavant comme des travailleurs syndiqués, à l’instar du mouvement ouvrier qu’ils prétendent défendre.

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Apparaît la constitution d’une gauche judiciaire puissante dont les lignes directrices se définissent progressivement: «La doctrine du Syndicat va se préciser peu à peu autour de quatre axes: la fin de la prison, la fin des frontières, la fin de la délinquance économique et financière, la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme. Une société sans prison, sans frontières, sans capitalisme.» Car pour l’ancien juge d’instruction, l’objectif du Syndicat est clair: les juges doivent s’organiser pour réaliser cette société idéale, qui collectionne les «sans».

Et cette lame de fond esquisse une nouvelle définition de l’État de droit ; une notion qu’aujourd’hui beaucoup interrogent. Les possibilités toujours plus importantes conférées aux particuliers de s’opposer au législateur, au nom de principes interprétés par le Conseil constitutionnel et de jurisprudences européennes, font grand bruit. «Ainsi, l’État de droit, qui signifiait que les lois étaient votées par les élus du peuple et s’imposaient au gouvernement, est devenu le respect par le gouvernement et le Parlement de normes définies par des juges.» Le législateur est dépossédé et le juge est conquérant. «L’État de droit, pour la gauche judiciaire, c’est à la fois un rempart contre toute législation réactionnaire et un objectif ultime, celui d’une société où le droit correspondra à l’idéal altermondialiste.»

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Le Figaro

07/10/2022

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Le titre, «Soyez partiaux!», fait référence à la harangue de Baudot. De quoi s’agit-il?

Il faut d’abord rappeler une évidence: l’impartialité est le principe premier de la justice.

Oswald Baudot était un substitut du procureur, membre du Syndicat de la magistrature. En 1974, il a publié un texte s’adressant aux jeunes sortant de l’École nationale de la magistrature, et qui fit alors scandale. Il leur donnait trois conseils: prononcez le moins de peines de prison possible, ne vous encombrez pas avec la loi et faites-lui dire ce que voulez, et, surtout, soyez partiaux. La harangue de Baudot précisait sur cette partialité: «Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurances de l’écraseur, pour le malade contre la Sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.»

Récemment encore, en 2018, Simone Gaboriau, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature approuvait cette partialité: «Ce beau texte est en réalité porteur d’une saine exigence d’impartialité effective, rompant avec une approche formaliste de l’éthique du juge […] Oswald Baudot exprimait sa volonté d’exercer son métier avec le souci de l’égalité réelle devant la justice, imposant une attention particulière à la partie faible.» Il s’agit de l’opposition marxiste classique entre les droits formels édictés par la société bourgeoise au profit des seuls bourgeois et les droits réels, que peuvent exercer les travailleurs.

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L’erreur est de croire que le Syndicat de la magistrature réagit simplement en critiquant les réformes qu’il considère comme réactionnaires. Son action est beaucoup plus constante et déterminée pour atteindre l’objectif final. Ces magistrats sont sincères ; ils pensent qu’ils sont dans le camp du bien, et donc qu’il est juste d’utiliser la justice pour atteindre l’objectif. Au fond, pour eux, justice est synonyme de justice sociale.

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Vos livres sonnent comme une charge contre l’État de droit. Celui-ci n’est-il pas censé nous protéger? Comment l’État de droit a-t-il été dévoyé?

C’est qu’il y a État de droit et État de droit. Le terme ne recouvre pas toujours la même notion. Le principe classique de l’État de droit signifie que le gouvernement doit respecter la loi. Qui pourrait être contre? La conception moderne, qui s’est surtout développée au XXIe siècle et qui trouve sa source dans le fait que Hitler était arrivé au pouvoir légalement, a très bien été décrite par Jean-Éric Schoettl, l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. Il s’agit de l’obligation pour le législateur de respecter des grands principes des droits de l’homme dont les contours sont définis au fur et à mesure par le dialogue des juges décrit précédemment.Le dernier mot n’est plus au Parlement, c’est-à-dire aux députés désignés par le suffrage universel, mais aux juges désignés par les gouvernements, et responsables devant personne. Cela pose un problème de légitimité et de démocratie. Il va falloir trouver un meilleur point d’équilibre entre la volonté populaire exprimée dans les urnes et traduite dans les lois votées par les élus, et un contrôle par les juges qui doit cesser de confondre atteinte réelle aux principes fondamentaux et appréciation politique.

Le Figaro Magazine

26/07/2022

Dégradation de l’institution judiciaire, souffrance du personnel de la justice, incompréhension des justiciables … (…) Comment en est-on arrivé à cette situation ? Est-ce un manque de vision de nos gouvernants ? Une «grande démission» de l’institution judiciaire ? Un peu des deux ?

Il y a deux grandes causes indissociables: l’une est l’insuffisance du nombre de magistrats et de greffiers, l’autre est un fonctionnement archaïque. L’institution judiciaire est inefficace, mais les magistrats se réfugient souvent derrière le manque de moyens, réel, mais qui n’explique pas tout. L’administration fiscale, ou La Poste, par exemple, ont su se moderniser en vingt ans en diminuant le nombre de leurs agents. Un bureau de poste de 2022 n’a rien à voir avec un bureau de poste de 2000 ; on ne peut pas en dire autant des tribunaux.

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En matière de lutte contre l’insécurité, le bilan du président de la République depuis son élection est jugé «négatif» à 69 % alors que son action en matière de justice est jugée négativement à 73 %. Ces deux phénomènes sont-ils indissociables ?

Le bilan en matière de sécurité est mauvais parce que la justice pénale est inefficace. La nomination d’Éric Dupont-Moretti à la Chancellerie était un coup médiatique amusant, mais c’est une catastrophe pour la justice. Voilà un ministre qui ne peut pas dialoguer avec les syndicats de magistrats, lesquels l’ont fait mettre en examen par la Cour de justice, ni avec la hiérarchie judiciaire. Comment pourrait-il faire la grande réforme dont la justice a besoin ? Et puis l’on touche là à la limite de l’«enmêmetemptisme» : un ministre de l’Intérieur de droite et un garde des Sceaux de gauche. Cela ne peut pas fonctionner et cela ne fonctionne pas. La lutte contre la délinquance demande une politique qui va dans un seul sens, des policiers qui arrêtent les délinquants et des juges qui les sanctionnent réellement et rapidement.

Le programme du candidat Macron en 2017 proclamait: chaque peine sera exécutée. Aussitôt, Nicole Belloubet a fait l’inverse. Le candidat Macron de 2017 promettait la construction de 15.000 places de prison, il en a construit 2.000. Nos prisons sont à la fois indignes en termes d’humanité et insuffisantes pour apporter une réponse pénale efficace.

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Le Figaro

Présentation du livre :

Ils sont contre la bourgeoisie. Contre les frontières. Contre la prison. Qui sont-ils ? Des juges. Que veulent-ils ? Faire eux-mêmes la loi. D’où viennent-ils ? Du Syndicat de la magistrature, fondé aux lendemains de Mai 68. Leur but ? Révolutionner la justice. « Soyez partiaux. Ayez un préjugé favorable pour l’ouvrier contre le patron, pour le voleur contre la police », proclamaient-ils.

C’est leur itinéraire que décrypte ici Hervé Lehman. Des salles des prétoires aux cabinets ministériels, des projets de loi aux coups médiatiques, des actions contestataires aux conquêtes hiérarchiques, voici la face cachée d’un véritable mouvement politique. Sa doctrine, ses méthodes, ses acteurs. Ses « petits juges rouges » et son « mur des cons ». Sa volonté de prendre le pouvoir sur l’autorité judiciaire.

Une page secrète et enfin révélée de notre histoire et de notre République.

Ancien juge d’instruction, avocat au barreau de Paris, Hervé Lehman a été, en 2011, membre de la commission de réforme de la procédure pénale. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le procès Fillon et L’air de la calomnie. Une histoire de la diffamation, tous deux aux Éditions du Cerf.

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