Depuis les années 1990, il n’existe pas une, mais deux finances au Royaume-Uni.
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La première, la finance « mainstream », a émergé dans les années 1970. Elle a prospéré grâce à l’intégration européenne et au « big bang » financier de Margaret Thatcher, et a consisté à « financiariser » les grandes entreprises industrielles et le système de retraites. Elle regroupe les acteurs liés aux marchés boursiers et obligataires, notamment les banques, les compagnies d’assurances et les banques d’investissement. Dominante au sein de la finance britannique jusqu’au milieu des années 2000, cette finance mainstream est depuis concurrencée par les acteurs d’un second mouvement de financiarisation.
Les acteurs de cette finance alternative accumulent du capital au sein de secteurs de la vie économique qui échappaient jusqu’ici à la financiarisation, par exemple les petites et moyennes entreprises, à travers le développement des fonds de capital-investissement, l’immobilier, via les fonds immobiliers, et plus récemment certaines activités sociales et environnementales, grâce au développement des fonds d’investissement à impact. Contrairement à la première finance, les acteurs de cette seconde finance n’ont pas un accès direct à l’épargne : ils gèrent des actifs venus d’ailleurs, collectent des fonds auprès d’autres investisseurs professionnels, et se chargent de les investir.
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Lors de l’ouverture de la succession de Boris Johnson en juillet, les acteurs de la finance mainstream ont globalement soutenu le programme néolibéral de Rishi Sunak contre Liz Truss. (…) Opposé au Brexit en 2016, favorable aux relations avec l’Union européenne, à une dérégulation financière forte mais encadrée, à une intervention de l’Etat limitée à ses fonctions régaliennes et au maintien des droits civiques et des droits des minorités, Rishi Sunak prolonge l’héritage néolibéral de David Cameron et satisfait les intérêts économiques des secteurs de la première finance.
A l’inverse, les acteurs de la seconde finance ont massivement financé le « leave » [pro-Brexit] lors de la campagne référendaire de 2016 et défendu les candidatures successives de Boris Johnson contre Theresa May et David Cameron, puis de Liz Truss contre Rishi Sunak. Ils souhaitent s’émanciper des réglementations européennes et internationales, telles que la directive européenne Mifid 2 [la directive concernant les marchés d’instruments financiers – MIF, en anglais Markets in Financial Instruments Directive, Mifid –, publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 30 avril 2004, est l’un des éléments-clés du plan d’action des services financiers 2005-2010 lancé par la Commission européenne], qui renforce la protection des investisseurs au détriment des intermédiaires financiers et de la finance alternative. Ils entendent étendre le champ de la financiarisation à un nombre croissant de biens et notamment aux actifs naturels, sans subir les contraintes liées aux régulations proclimat. Ils visent une réduction drastique des taxes, une privatisation la plus large possible des services publics britanniques, notamment la santé et l’éducation, et une restriction des droits civiques et des droits des minorités.
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