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Alors que débute le Mondial au Qatar, l’historien François da Rocha Carneiro analyse le rapport entre les Français et leur sélection nationale.  Auteur d’Une histoire de France en crampons (éditions Le Détour, 2022), il retrace dans un entretien au Point l’histoire du lien qui unit les Français et la sélection nationale.

[…] Les Franciliens ont envahi les Champs-Élysées après les sacres mondiaux et européens de 1998, 2000 et 2018. Cette artère parisienne est en revanche beaucoup plus clairsemée les 8 mai, 14 juillet et 11 novembre… Le patriotisme français s’exprime-t-il par le football ?

Nous avons pris l’habitude de célébrer nos victoires footballistiques sur les Champs-Élysées depuis que l’AS Saint-Étienne a fêté sa défaite en finale de la Ligue des champions de 1976 en descendant la célèbre artère parisienne. Je ne suis donc pas certain qu’il faille surinterpréter les effets de foule les soirs de victoire comme étant la manifestation ultime du patriotisme. Je crois plus en un effet d’identification. Le patriotisme, lui, c’est l’amour du pays des pères. Or notre société française est très bigarrée, avec des gens ayant des pères venus de partout.

L’équipe de France est à l’image de cette mixité. Comment expliquez-vous que de nombreux Français d’origine étrangère préfèrent l’équipe nationale du pays de leurs parents à l’équipe de France ?

J’en ai justement discuté avec mes élèves, dont certains sont concernés. Il y a un attachement qui les pousse à idéaliser la sélection nationale de leurs origines. Cette équipe, qu’elle soit portugaise, algérienne ou autre, apparaît comme l’un des derniers points de rattachement au pays d’origine. Cela ne veut pour autant pas dire qu’ils ne soutiennent pas, par ailleurs, l’équipe de France.

Pourquoi reproche-t-on à certains joueurs de ne pas chanter La Marseillaise ?

L’histoire remonte à 1996. Lors d’un rassemblement politique, Jean-Marie Le Pen a pointé les joueurs de l’équipe de France, reprenant les arguments de la presse d’extrême droite des années 1930. Celle-ci les qualifiait de mercenaires et leur reprochait leur cosmopolitisme. Le président du Front national ajoute – pour preuve – que certains joueurs ne chantent pas l’hymne national. Il interprète cela comme le signe d’un désamour de la France de la part de personnes censées défendre son maillot.

Depuis cette polémique fomentée par Jean-Marie Le Pen, les joueurs sont fortement incités à chanter l’hymne national. En 2010, le sélectionneur Laurent Blanc, après le scandale sud-africain de l’ère Domenech, a même fait distribuer les paroles de la Marseillaise à ses joueurs… En revanche, personne ne s’offusque quand les sportifs d’autres disciplines restent mutiques. Qui se souvient que trois des quatre cavaliers français champions olympiques de saut d’obstacles en 2016 n’ont pas repris l’hymne national diffusé après la remise des médailles ?

Il y a deux poids, deux mesures…

Bien sûr. Les footballeurs français sont particulièrement pointés car ils sont nombreux à avoir pour pays d’origine une ancienne colonie française. La France a plus à régler son passé colonial que les joueurs ont à prouver par ce chant leur adhésion à la France.  […]

Pourquoi tout ce qui touche à l’équipe de France devient-il si rapidement polémique ?

L’équipe de France est une énorme caisse de résonance, d’une part, et il y a une forme de mépris de classe, d’autre part.

Comment ce mépris de classe se caractérise-t-il ?

Un exemple : l’acteur Vincent Lindon a appelé au boycott de la Coupe du monde organisée au Qatar. Pourquoi pas ! Les droits humains ne sont pas respectés et cette compétition est une aberration climatique. Cependant, ce même Vincent Lindon, président du jury du Festival de Cannes 2022, a-t-il appelé au boycott des films produits par le Doha Film Institute en compétition à Un certain regard et à La quinzaine des réalisateurs ? Réponse : non. Le cinéma, lui, est un art, voyez-vous ? Les appels au boycott des championnats du monde d’équitation à Doha du Grand prix de Formule 1 au Qatar sont également rares… Pourquoi ? Car ces sports sont suivis, pour majorité, par une certaine élite sociale.

Ce mépris se caractérise aussi par l’argent…

Oui, on a tous en mémoire cette phrase d’Anne-Sophie Lapix sur les « millionnaires » qui « courent après un ballon » à l’aube du Mondial 2018 en Russie. On ne reproche pas aux enfants de millionnaires d’être eux aussi des millionnaires. Alors pourquoi le reproche-t-on aux enfants venus de la banlieue ? Encore du mépris de classe. Devenir footballeur professionnel implique de grands sacrifices, dès le plus jeune âge. Il est d’ailleurs bien plus difficile d’intégrer l’équipe de France que d’entrer à Normal Sup. Les statistiques sont formelles ! Il y a une immense masse « prolétarienne » chez les joueurs professionnels. […]

Le Point

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