04/01/2023
Gelé depuis plus de deux ans, le projet d’extension de la mosquée de Montreuil (Seine-Saint-Denis) sort de l’ornière. Fin décembre, le Conseil d’État a annulé l’annulation de la préemption par la mairie du terrain qui jouxte l’édifice de la rue de Rosny. En 2018 et 2020, le tribunal administratif de Montreuil puis la cour administrative d’appel de Versailles (Yvelines) s’étaient prononcés contre cette décision municipale prise en 2017, au motif notamment qu’elle constituait une atteinte à la laïcité.
Ce que réfute le Conseil d’État : « En premier lieu, le principe constitutionnel de laïcité ne fait pas obstacle à ce qu’une décision de préemption soit prise, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, en vue de permettre la réalisation d’un équipement collectif à vocation cultuelle (…). En revanche, ces dispositions impliquent (…) que la mise en œuvre d’un tel projet soit effectuée dans des conditions qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à un culte », écrivent les magistrats. Autrement dit, le fait que la municipalité prévoit de revendre — et non de donner — ensuite le terrain à la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil (FCAAM) rend possible la préemption.
Le Conseil d’État considère également que les objectifs « d’augmenter la capacité d’accueil de la mosquée existante pour répondre aux besoins de la communauté musulmane locale ainsi que celle du parc de stationnement assurant l’accueil des fidèles et, d’autre part, de créer des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l’enseignement religieux » constitue une « opération d’aménagement qui vise l’intérêt général ».
Le maire (PCF) de Montreuil, qui s’est entretenu ce lundi 2 janvier avec le président de la mosquée, parle « d’une décision importante » : « C’est une première au niveau national, il n’y avait pas de jurisprudence établie sur le sujet. Et cette décision contredit les deux précédentes. Cela nous conforte dans le bien-fondé d’avoir insisté », estime Patrice Bessac, qui se dit « heureux pour Montreuil et heureux d’apporter une solution concrète à la demande légitime d’étendre la mosquée ».
[…]En plus d’étendre le parking et d’agrandir l’espace dédié au culte, Maged Osman rêve d’ouvrir un centre socioculturel, avec une médiathèque et des salles d’exposition. Un projet de collège-lycée musulman a également été mentionné. « Tout cela va être rediscuté, c’est à réfléchir avec l’ensemble de la fédération », poursuit-il.
En lien :
02/01/2023
Mosquée de Montreuil (93) : pour le Conseil d’Etat, la décision du maire communiste de préempter un terrain à la moitié de son prix pour agrandir une mosquée n’est pas une atteinte au principe de laïcité (MàJ)
Conseil d’État
N° 447100
[…]Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère – 4ème chambres réunies
[…]
Lecture du jeudi 22 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mmes B… A…, Rolande A…, Colette A… et Pierrette A… ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain renforcé sur une parcelle leur appartenant, située 223, rue de Rosny. Par un jugement n° 1702610 du 1er février 2018, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et précisé les obligations en découlant pour la commune en application de l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme.
Par un arrêt n° 18VE01088 du 1er octobre 2020, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la commune de Montreuil contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er décembre 2020, 1er mars et 24 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Montreuil demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge des consorts A…, solidairement, la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
[…]Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 25 janvier 2017, le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain sur une parcelle appartenant aux consorts A… en vue de permettre ” la réalisation d’un équipement collectif d’intérêt général à vocation cultuelle consistant en une extension du centre socio culturel et de ses aires de stationnement “. Saisi par les consorts A…, le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 1er février 2018, annulé cette décision et précisé les obligations en découlant pour la commune en application de l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme. La commune de Montreuil se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 1er octobre 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté son appel contre ce jugement.
[…]3. Il résulte des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d’une part, justifier, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en oeuvre de ce droit doit répondre à un intérêt général suffisant.
4. D’autre part, aux termes de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : ” La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. ” L’article 2 de cette loi dispose : “ La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes (…). ” Aux termes de l’article 13 de la même loi : ” Les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II. (…) L’Etat, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi. ” Enfin, aux termes du dernier alinéa de l’article 19 de cette même loi, les associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice d’un culte ” ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques. “
5. Il résulte de ces dispositions que les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’Etat ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels et qu’il leur est interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte. Les collectivités publiques ne peuvent donc, aux termes de ces dispositions, apporter aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels.
6. En premier lieu, le principe constitutionnel de laïcité ne fait pas obstacle à ce qu’une décision de préemption soit prise, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, en vue de permettre la réalisation d’un équipement collectif à vocation cultuelle. Une telle décision n’est pas par elle-même constitutive d’une aide à l’exercice d’un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. En revanche, ces dispositions impliquent, sauf à ce que la collectivité se fonde sur des dispositions législatives dérogeant aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905, que la mise en oeuvre d’un tel projet soit effectuée dans des conditions qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à un culte.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Montreuil est fondée à soutenir, par un moyen qui n’est pas nouveau en cassation, qu’en jugeant que la décision de préemption en litige était par elle-même constitutive d’une dépense illégale en faveur de l’exercice d’un culte contraire à la loi du 9 décembre 1905, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain sur la parcelle appartenant aux consorts A… est destinée à permettre l’extension du centre socio-cultuel implanté sur le terrain communal mitoyen de la parcelle préemptée, qui a fait l’objet d’un bail emphytéotique administratif passé entre la ville de Montreuil et la fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil afin, d’une part, d’augmenter la capacité d’accueil de la mosquée existante pour répondre aux besoins de la communauté musulmane locale ainsi que celle du parc de stationnement assurant l’accueil des fidèles et, d’autre part, de créer des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l’enseignement religieux. Eu égard à son objet et à son ampleur, ce projet présente le caractère d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens des dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme. Par suite, la commune de Montreuil est fondée à soutenir, par un moyen qui n’est pas nouveau en cassation, que la cour administrative d’appel de Versailles a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant que le projet était d’une ampleur insuffisante pour pouvoir être regardé comme un équipement collectif au sens de ces dispositions.
[…]9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la commune de Montreuil est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
[…]15. Contrairement à ce que soutiennent les consorts A…, la seule circonstance que l’équipement collectif en vue duquel le droit de préemption est exercé vise à permettre l’exercice d’un culte n’est pas de nature à faire regarder la réalisation du projet comme ne répondant pas à un intérêt général suffisant. Par suite, les consorts A…, qui n’apportent aucun autre élément au soutien de ce moyen et, notamment, ne critiquent pas les caractéristiques du bien faisant l’objet de la décision de préemption ou le coût prévisible de l’opération, ne sont pas fondés à soutenir que le projet ne répondrait pas à un intérêt général suffisant.
[…]17. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Montreuil est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain.
[…]D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 1er octobre 2020 de la cour administrative d’appel de Versailles et le jugement du 1er février 2018 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par les consorts A… devant le tribunal administratif de Montreuil et leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les consorts A… verseront une somme de 3 000 euros à la commune de Montreuil au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Montreuil et à Mme B… A…, première dénommée, pour l’ensemble des consorts A….
[…]
Rendu le 22 décembre 2022.
Liste des maires de Montreuil depuis 1984 (wikipedia) :
mars 1984 | mars 2008 | Jean-Pierre Brard | PCF puis CAP | Député de Seine-Saint-Denis (1988-2012) |
mars 2008 | avril 201490 | Dominique Voynet | EELV | Sénatrice de Seine-Saint-Denis (2004-2011) |
avril 201491 | En cours | Patrice Bessac92 | PCF | Conseiller régional d’Île-de-France (2004-2015) Président de l’ANECR (2016-2019) Président de l’EPT Est Ensemble (202093 →) Réélu pour le mandat 2020-202694 |
18/12/2020
Extension de la mosquée de Montreuil : déboutée pour atteinte à la laïcité, la ville saisit le Conseil d’Etat
La mairie veut préempter le terrain voisin de la mosquée afin de le revendre à la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil. Les propriétaires et la justice s’y refusent.
Le tribunal administratif a dit non, la cour administrative d’appel aussi. Désormais c’est au Conseil d’Etat de se prononcer. La mairie de Montreuil vient de saisir, début décembre, la plus haute juridiction administrative concernant le litige qui l’oppose à la famille propriétaire du terrain voisin de la mosquée de la rue de Rosny. Une affaire vieille de près de quinze ans puisque la première tentative de préemption, par la ville, de ce terrain de près de 2 000 m2 date de 2006.
Concrètement, la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil (FCAMM), s’est engagée à racheter le terrain à la ville si celle-ci parvient à le préempter, veut agrandir le parking de la mosquée. L’association, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, veut aussi créer des salles de cours et une bibliothèque destinées à l’enseignement religieux.
[…]La municipalité dit s’appuyer sur la loi de séparation de l’Église et de l’Etat de 1905. « Son article 2 n’interdit pas toute intervention d’une collectivité territoriale en matière cultuelle, dès lors que celle-ci n’a pas d’autre objet que de garantir « le libre exercice des cultes » comme le prévoit l’article 1er de la même loi », assure au Parisien le premier adjoint Gaylord Le Chequer.
C’est pourtant bien une atteinte à la laïcité que met en avant la cour administrative d’appel dans sa décision rendue le 1er octobre : « En décidant de préempter la parcelle litigieuse en vue de la laisser de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association principalement pour l’exercice d’un culte […] le maire de la commune de Montreuil a […] décidé une dépense illégale en faveur de l’exercice d’un culte […]. »
[…]C’est bien là, sur le coût de la transaction, que se cristallisent toutes les tensions. La ville en propose 409 000 €, se fondant sur « le dernier avis rendu par le commissaire du gouvernement en 2007, suite à une procédure de fixation judiciaire voulue par les propriétaires » souligne l’élu Gaylord le Chequer. Les propriétaires, elles, veulent que le montant fixé par les Domaines — à savoir 796 000 euros — soit respecté.
A lire :
05/02/2018
Mosquée de Montreuil : la justice s’oppose à son projet d’agrandissement soutenu par la mairie qui avait préemptée de force un terrain
Sortie de terre en août 2010 et inaugurée en grande pompe, la Mosquée Al-Oumma de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, ne verra pas, huit ans plus tard, son projet d’extension se matérialiser, au grand dam de la Fédération culturelle des associations musulmanes de Montreuil (FCAMM) qui l’a porté à bout de bras.
En effet, le tribunal administratif en a décidé tout autrement. Son arbitrage défavorable a purement et simplement annulé la décision de la municipalité de préempter un terrain, afin d’exaucer le vœu de ses concitoyens de confession musulmane : à savoir, parer à l’urgence en augmentant la capacité d’accueil très insuffisante du parking attenant au lieu de culte, et au-delà, agrandir l’édifice religieux en le dotant de salles de cours et de conférences, ainsi que d’une bibliothèque destinée à l’enseignement des sciences islamiques, mais pas seulement.
« Ce n’était pas forcément un enseignement religieux. Nous souhaitions mêler un lieu de culte et de culture », insiste en vain Maged Osman, le responsable de la mosquée, ce dernier se heurtant à l’hostilité des propriétaires du terrain.
Sensibilisée à la question et après avoir donné son feu vert à la requête émise par les responsables de la FCAMM, l’association qui gère la mosquée, la Ville de Montreuil n’avait pas hésité, le 25 janvier 2017, à exercer son droit de préemption pour un terrain de 1 900 m² jouxtant le lieu de culte. (…)