Cécile Marcel, directrice de l’Observatoire international des prisons (OIP), estime que « le nombre de détenus évolue parallèlement au nombre de places créées ». Pour faire face à la surpopulation carcérale, elle appelle plutôt à amplifier le recours aux alternatives à l’enfermement. « Il faut se reposer la question de qui on envoie en prison et pourquoi », explique-t-elle.
Jeudi, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a présenté un plan pour la justice . À part quelques mesures, notamment la mise en place de caméras-piétons pour les surveillants, le volet prisons reste limité. Sont-elles les grandes oubliées des politiques publiques ?
Oui et non. Elles sont clairement les oubliées de ce plan. En revanche, on ne peut pas dire que le budget dédié à l’administration pénitentiaire soit faible. Il représente une part importante du budget de la justice. Le problème, c’est le fléchage. L’essentiel de l’argent va à la construction de nouvelles prisons. C’est ce qui nous pose problème. Ce sont des dépenses monumentales qui sont réalisées au détriment des établissements qui existent déjà et du nécessaire travail de réinsertion et de prise en charge au quotidien des détenus.
La construction de nouvelles places n’est-elle pas une bonne chose ?
C’est souvent présenté comme une mesure de bon sens : les conditions de vie sont indignes, il y a de la surpopulation carcérale donc on pense instinctivement à construire de nouvelles places . Sauf que c’est ce qu’on fait en France depuis trente ans et on se rend compte que ça ne marche pas. Le nombre de détenus évolue parallèlement au nombre de places créées. Quand une baignoire se remplit, vous pouvez augmenter le contenant mais si vous ne fermez pas un peu le robinet, ça va forcément déborder à un moment. Si on n’agit pas sur les facteurs de la surpopulation, ça ne sert à rien de construire de nouvelles places. Il faut se reposer la question de qui on envoie en prison et pourquoi.
Ne croyez-vous pas à la promesse d’Emmanuel Macron de construire 15 000 nouvelles places d’ici à 2027 ?
On n’y croit pas, d’abord, en termes d’efficacité. Une prison met entre sept et dix ans à sortir de terre. On a aujourd’hui autour de 13 000 détenus en surnombre. On ne peut pas attendre sept à dix ans pour les placer dans des conditions dignes. Le gouvernement table sur 10 à 15 000 nouveaux détenus d’ici à 2027 : on sait déjà que les nouvelles places vont être remplies. Ça ne va rien régler du tout. Comme dirait Macron, ça coûte un pognon de dingue.
Dès lors, comment lutter contre la surpopulation ?
La situation actuelle est particulièrement attentatoire aux droits. Il y a plusieurs mesures à prendre dans l’urgence. On a vu pendant le premier confinement que c’était possible. Il y a eu des remises de peine pour que les prisonniers en fin de peine puissent sortir plus rapidement. Il y a eu moins d’incarcérations. On s’est retrouvé, en deux mois, avec 13 5000 détenus en moins. Ce n’était pas arrivé depuis vingt ans. Je tiens à souligner que cela n’a eu aucune incidence sur la sécurité des Français. Au contraire, les conditions de détention étaient beaucoup plus vivables et les conditions de travail bien plus satisfaisantes pour le personnel. Dans n’importe quel service, quand il n’y a plus de place, il n’y a plus de place. À la crèche, on ne va pas accueillir dix enfants supplémentaires parce qu’on n’a pas le choix. Ça devrait être pareil en prison. […]
Il existe des alternatives comme le sursis probatoire ou le travail d’intérêt général. La France fait figure de mauvaise élève dans le domaine : partout en Europe, les pays diminuent leur population carcérale. Il faut de la volonté et du courage politique.