ENTRETIEN – Le système d’intégration français est défaillant depuis longtemps, estime le directeur de la Fondapol.
Dominique Reynié est directeur de la Fondapol.
LE FIGARO.- Vous avez intitulé votre note sur la politique migratoire du Danemark «Une fermeture consensuelle». En quoi consiste ce «consensus»?
Dominique REYNIÉ.- D’abord, la raison de cette politique est on ne peut plus consensuelle. Les Danois ont entrepris de maîtriser l’immigration afin d’assurer la pérennité de leur État-providence, en préservant les ressources économiques et les valeurs sur lesquelles il repose. Ils ont décidé une réduction drastique des flux migratoires, un programme obligatoire et exigeant d’intégration des migrants, un accès à la nationalité devenu impossible sans une réelle motivation et le recours aux services d’un pays tiers extra-européen pour le traitement des demandes de visas.
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La diabolisation de la question migratoire n’est-elle pas moins forte au Danemark du fait de l’histoire? À l’inverse, ne s’explique-t-elle pas en France par notre rapport au passé, à la fois celui de la Seconde Guerre mondiale et de l’empire colonial?
L’histoire joue toujours un rôle. Mais la raison la plus importante tient à une différence de méthode. Les Danois décrivent la réalité du problème considéré avec une objectivité et une transparence exemplaires. Dans notre étude, nous publions des exemples de données que chaque Danois peut consulter, en un clic: les faits de violence selon le pays d’origine de leurs auteurs, le taux d’emploi des personnes ou la part des bénéficiaires de l’aide sociale selon l’origine, etc. En France le tabou sur les «statistiques ethniques» empêche toute visibilité réelle sur ce sujet.
Le citoyen français est dans l’impossibilité d’accéder à de telles données, comme si elles n’étaient pas utiles au débat. De plus, et comme sur tant de sujets, le débat français sur l’immigration met en avant le critère de la moralité des intentions, en ne considérant presque jamais la moralité des résultats. Une bonne intention est jugée morale, même si ses résultats sont désastreux. Enfin, l’existence de contraintes financières semble absente de nos considérations en matière d’immigration, alors que leur prise en compte est un pilier de la politique danoise. Nous sommes bien plus idéologues.
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Vous faites dans votre étude un lien entre État-providence et homogénéité culturelle. En quoi sont-ils liés?
Il est établi, au moins dans les sociétés démocratiques, qu’il existe un lien entre l’avènement du multiculturalisme et la montée de la défiance interpersonnelle, finissant par remettre en cause l’adhésion à l’État-providence. L’une des raisons avancées pour expliquer l’absence d’un État-providence aux États-Unis réside dans les différences ethnoculturelles entre les groupes composant la société. Accepter que l’État prélève une part de vos revenus pour la redistribuer au profit d’autres personnes suppose de reconnaître les autres personnes comme des membres de la même communauté. (…)
Robert D. Putnam a montré qu’une forte augmentation de l’immigration entraîne un multiculturalisme, provoquant une érosion de la solidarité, plus globalement de ce qu’il nomme le «capital social», dont la confiance est l’élément clé. Il est d’autant plus facile de faire confiance et de coopérer que la distance sociale qui sépare les individus est moindre. Lorsque cette distance est faible, un sentiment d’identité commune est possible, aider l’autre devient aider un membre de ma communauté. À l’inverse, plus la distance est grande, plus les personnes se perçoivent comme appartenant à des mondes différents. Dans ce cas, l’idée d’être contraint de contribuer à un système de solidarité devient problématique.
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