La boulangerie de Kévin et Soline a fermé il y a trois mois. Comme pour tant d’autres en France, la facture d’électricité était devenue trop salée. Privés de pain et surtout privés de liens, les Grénevillois se débrouillent tant bien que mal.
L’église se dresse sur une place aux maisons sages. En face, la mairie, l’école… Un village français. « Dépêchez-vous, n’oubliez pas vos sacs ! » C’est un matin particulièrement animé à Greneville-en-Beauce, commune de 700 habitants du Loiret, à 10 km de Pithiviers. Le silence se rompt, une marée de petits écoliers monte dans le car affrété par la mairie, qui les emmènera à 5 km de là, à Outarville, pour une exposition scientifique. L’école, c’est la dernière fierté du village. Un regroupement pédagogique intercommunal de six classes, de la maternelle au CM2.
Il y a trois mois encore, il y en avait une autre : la boulangerie tenue par Kévin et Soline. Mais elle a fermé. Après quatre-vingts ans d’activité, le tribunal judiciaire d’Orléans a prononcé, le 19 octobre 2022, la liquidation de l’avant-dernier commerce de Greneville-en-Beauce. Ne reste plus qu’un caviste… Comme tant d’histoires similaires rapportées par les canards locaux, la facture d’électricité était devenue intenable : 4 000 € à la fin de 2022, contre 800, quinze ans plus tôt. Greneville rejoint désormais les tristes rangs des 84 % de communes de moins de 1 000 habitants dépourvues d’une boulangerie. Le car repart, l’agitation prend fin. Retour à la normalité, ou plutôt à la morosité. Pas un bruit, mais toujours ce vent brassé par les immenses éoliennes. À une exception près : deux mamans causent au loin sur le parking désert de la place centrale. Autrefois, c’était à la boulangerie. « On s’y croisait entre mamans, voisins, ça nous permettait de papoter un peu », se souvient Solène, la mine déconfite.
Cette Grénevilloise de toujours exprime le sentiment général : « Avant, c’était animé. Maintenant, il n’y a plus personne », souffle-t-elle. Même le souvenir du klaxon (très) matinal du meunier lui laisse un souvenir ému : « Au moins, il y avait de la vie. Maintenant, il n’y a plus rien. » Plus de pain, plus de liens. La boulangerie était le principal liant de la communauté, d’autant qu’elle était devenue par la force des choses bien plus qu’un simple commerce de pains. Depuis que le bar d’en face a plié boutique, il y a cinq ans, elle faisait office de lieu de restauration. Le plus terrible, c’est pour les anciens, s’attriste-t-on dans les rues de la commune. « Aller chercher le pain, c’était leur seule sortie, explique Solène. On voyait le va-et-vient des habitués. Celui qui avait son vélo, celui qui calait tout le temps, celui qui avait l’embrayage qui couinait. » Maintenant, ils ne sortent plus. Alors « on se débrouille comme on peut », témoigne-t-on. Pour pallier la fermeture, un système de solidarité spontané a vu le jour : on se relaie pour aller leur chercher du pain au supermarché, quand ce n’est pas la communauté de communes qui assure le service de livraison de repas, pain industriel inclus.
(…) Alors le maire, Jean-Louis Brisson, 62 ans, couvreur de métier, essaye tant bien que mal de préserver sa commune natale. Témoin de la désertification, il se souvient avec nostalgie de la ville de son enfance. « Il y avait la boucherie, l’épicerie, le restaurant, un vétérinaire, et, bien sûr, la boulangerie. Aujourd’hui, il ne reste rien de tout ça. Et les services de l’État ont disparu. » Alors, quand la boulangerie a mis la clé sous la porte, cela a été un coup de massue. Comme l’aboutissement d’un processus si commun qui frappe les campagnes. « Le local appartient à la mairie, donc on ne leur a pas fait payer les derniers loyers. Mais ça n’a pas suffi. »