Depuis plusieurs semaines, les critiques envers la justice se multiplient. Celle-ci serait trop « laxiste », trop « lente » et trop favorable aux délinquants et criminels. Le déclencheur a été le meurtre, dans des circonstances atroces, de la jeune Lola, 12 ans, mi-octobre 2022. Plusieurs médias ont sonné la charge. Valeurs actuelles, déjà, hebdomadaire à la lisière entre droite et extrême droite, se demande alors s’il n’est pas temps d’en « finir » avec « l’Etat de droit ». Cyril Hanouna, animateur vedette de C8, dont l’émission « Touche pas à mon poste » bénéficie d’environ 2 millions de téléspectateurs, réclame « un procès immédiat », et la « perpétuité directe, sans discussion », car il faudrait « vivre avec son temps », et se demande s’il ne faudrait pas juger « les fous ».
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Ainsi, dans son discours pour la rentrée solennelle du barreau de Paris, fin novembre 2022, la bâtonnière Julie Couturier a alerté contre « le tribunal médiatique, de l’opinion, qui vise à déconstruire certains principes, notamment la présomption d’innocence » ou encore le « droit à un procès équitable ». Elle a condamné un « mouvement de fond où l’émotion l’emporte sur la raison et la vulgarité sur la nuance »
Souvent, l’expression « populisme pénal » est préférée à celle de « populisme judiciaire ». Denis Salas, magistrat et essayiste, y a consacré un livre, en 2005 : La Volonté de punir, essai sur le populisme pénal (Hachette, réédité en 2010 chez Fayard). Selon lui, ce phénomène « caractérise tout discours qui appelle à punir au nom des victimes bafouées et contre des institutions disqualifiées ». Il poursuit : « Réduite à une communauté d’émotions, la société démocratique “surréagit” aux agressions réelles ou supposées, au risque de basculer dans une escalade de la violence et de la contre-violence. »
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« Culte de la victime »
Surtout, le populisme pénal interroge la place de la victime dans le raisonnement juridique puisqu’elle est au centre de la réflexion. C’est à son prisme que les décisions doivent être prises. En adoptant ce postulat, il est logique de réclamer les peines les plus dures possibles. Car qui peut être contre les victimes ? « Au nom de la défense de la victime, on peut demander de la sévérité, analyse M. Salas. L’innocence profanée justifie une surenchère pénale, donc une surviolence. Mais ce n’est pas par une réparation pénale, punitive, que l’on va réparer la victime. » Les risques de ce « culte de la victime » avaient déjà été dénoncés par l’avocat Thierry Lévy dans Eloge de la barbarie judiciaire (Odile Jacob, 2004).