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Sur les réseaux sociaux et à la télévision, Marie Germain, personnalité phare de plusieurs émissions de téléréalité, se fait appeler Milla Jasmine et entretient un flou savamment orchestré autour de ses origines. Depuis la récente découverte de son véritable prénom, dans une émission, les télé­spectateurs s’insurgent : cette fille au teint hâlé, aux cheveux noir de jais, aurait-elle trompé ses 3,2 millions d’abonnés en leur cachant se prénommer Marie Germain ? Un terme a surgi rapidement pour qualifier la duperie : « arab fishing ». Faire penser que l’on est arabe en empruntant les codes culturels d’un peuple auquel on n’appartient pas. Appropriation culturelle pour certains, ambiguïté raciste et sexiste pour d’autres, quel intérêt ont des influenceuses à s’orientaliser en France, un pays où les Maghrébins sont minoritaires ?

« Des femmes blanches se font passer pour des Arabes, grâce à la chirurgie esthétique, des teintures de cheveux plus foncées, des UV, entre autres, afin de toucher le public, créer un phénomène d’identification et se faire beaucoup d’argent » décrypte la journaliste Nesrine Slaoui. Professeur de marketing digital et consultant, Jessy Martin décrypte un « marketing tribal » utilisé par de nombreux influenceurs, où l’on met en exergue des valeurs et une vie commune. « C’est ce qu’ont choisi de faire des marques comme Adidas en segmentant le marché des sportifs » développe-t-il.

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Dans ce trouble que Milla Jasmine entretient, en s’affichant par exemple à la mosquée d’Abou Dhabi, un voile négligemment posé sur ses cheveux lâchés, l’influenceuse utilise une stratégie efficace : faire réagir ses abonnés sur l’islam. « On cache l’intégralité de sa chevelure mesdames !!! » « T’es nettement plus jolie quand tu caches tes formes franchement » ou encore « Elle est musulmane ou quoi ? » peut-on lire parmi les milliers de réactions. Même chose lors du ramadan, alors que la trentenaire installée à Dubaï confesse sur les réseaux sociaux accompagner son mari musulman dans sa pratique du jeûne : « Je le fais avant tout pour moi » promet-elle, avant de préciser que cela ne l’empêchera pas de se mettre en maillot de bain ou « de devoir stopper [ses] partenariats avec certaines marques durant le mois ». La stratège sème l’ambiguïté religieuse pendant que ses abonnés exultent et louent aussi bien sa piété que d’autres s’insurgent du blasphème.

Et ça marche. Le profil de l’influenceuse possède un taux d’engagement énorme de 2,32 %, selon Jessy Martin. Ce qui permet à la star d’appartenir au pôle des « macro-influenceurs »« Le débat sur l’islam donne lieu à des discussions, ce qui génère des commentaires et de l’engagement pour l’algorithme. Milla ne fait pas du tout l’unanimité dans la communauté musulmane et arabisante, mais on ne peut pas réussir sur les réseaux sociaux sans développer ses haters, qui cliquent et créer de la viralité en faisant se battre deux groupes opposés » note-t-il.

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Si l’arab fishing semble être un excellent moyen pour les influenceurs de créer de l’interaction avec leur communauté, il révèle aussi l’idéal culturel de la jeune génération qui rêve du bling-bling des pays du Golfe, où l’argent semble couler à flots. À la manière d’un Jean-Philippe Smet pariant en 1960 sur l’américanisation de son identité pour conquérir la France, Marie Germain et Gwendoline ont compris qu’en 2022 il vaut peut-être mieux se muer en Milla et en Safia pour vivre leur ameri… pardon, leur « émirats-dream ».

Marianne

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