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Même le quotidien britannique « The Times » en fait la favorite pour 2027. Dans les rangs macronistes, l’idée que la déjà triple candidate à l’élection suprême incarnerait « l’alternance » – c’est le nouveau slogan du RN – en cas d’échec du quinquennat est admise par tous. L’une des fondatrices d’En Marche, Astrid Panosyan-Bouvet, agite le spectre du scénario américain : la victoire de Trump après deux mandats d’Obama. Elle craint de voir la fille de Jean-Marie Le Pen incarner une forme de « dégagisme rassurant », comme Emmanuel Macron avait su le faire en 2017. Elle n’est pas la seule à en faire une variable presque certaine de l’équation de la prochaine présidentielle : ce sera elle ou moi, confiait Laurent Wauquiez à « l’Obs » en novembre ; eux ou nous, croit aussi depuis longtemps Jean-Luc Mélenchon. L’extrême droite déjà qualifiée au second tour dans quatre ans ? « Electoralement, son plafond est devenu son plancher », note le sondeur de l’Ifop Jérôme Fourquet.
Difficile de nier que la députée d’Hénin-Beaumont a le vent dans le dos. 2022 a été l’année de tous les records, se félicite son jeune poulain Jordan Bardella, désormais bien classé dans les baromètres de popularité : Marine Le Pen a récolté 13,2 millions de voix au second tour, fait entrer 88 députés (dont elle) au Palais-Bourbon, décroché des postes honorifiques dans la République. A l’Assemblée, dont la première séance a été ouverte par un frontiste historique, nostalgique de l’Algérie française, la garde républicaine accueille le vice-président Sébastien Chenu, transfuge de la droite, tout en rondeur. Les élus lui donnent du « Monsieur le président » quand il dirige les séances… Et quand la députée Renaissance Astrid Panosyan-Bouvet affirme que le parti de la préférence nationale est « xénophobe », elle se fait rappeler à l’ordre…
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Nouvel Obs : La conquête silencieuse
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A l’autre bout de l’Hémicycle, le RN boit du petit-lait, lui qui ne s’oppose pourtant que très mollement au projet de réforme et s’est montré embarrassé face au succès du mouvement social et de l’unité syndicale. Le voilà qui engrange tranquillement des points par simple contraste avec la Nupes. L’ordre contre le désordre, le calme et la tempérance contre le bruit et la fureur : voilà les images qu’aime à donner de lui le RN, dont le discours social lisse les éléments les plus radicaux de son programme. Si, de surcroît, le débat sur les retraites se solde par un passage en force du gouvernement pour faire adopter sa réforme, il est à craindre que le parti de Marine Le Pen ne récolte l’inévitable ressentiment social que cette séquence malheureuse aura engendré.
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Nouvel Obs : Un inquiétant parfum de victoire
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A mesure que le RN gagne en visibilité, son étiquette d’extrême droite s’estompe. Des intellectuels comme Jean-Yves Camus dans « l’Opinion » (« De plus en plus, j’utilise le terme de “droite radicale” pour caractériser le RN ») ou Dominique Reynié, à « C dans l’air », participent de cette évolution. Intervenante régulière sur les chaînes d’info, une journaliste confesse : « Quand je dis “RN d’extrême droite”, je me reprends pour dire “en tout cas de droite extrême”. On oublie que la préférence nationale reste au cœur du projet. » Au « JDD », le 25 octobre, le choix des mots avait enflammé la conférence générale de la rédaction dirigée par Jérôme Béglé. Au terme « extrême droite », celui-ci préfère « droite nationale », « plus conforme » à la réalité. Sa consigne n’a pas été suivie d’effet.
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[Les députés RN] sont « les verrous, les boosters qui nous manquaient pour nous installer localement », se félicite en privé Marine Le Pen, dont l’échec aux régionales de 2020 s’explique en partie, selon la Fondation Jean-Jaurès, par le manque d’implantation de sa formation. Pour l’extrême droite, l’attention médiatique portée ces derniers mois sur la bataille parlementaire est d’ailleurs une aubaine. Aux yeux des Français, veut-elle croire, son équipe de choc constituera le vivier dans lequel elle puisera avec facilité son futur gouvernement :« Avec des Jean-Philippe Tanguy, des Sébastien Chenu ou des Laure Lavalette, c’est tout de suite plus simple. C’est ce qui m’a manqué en 2017. »
Avant leur arrivée, « il ne se passait rien à l’Assemblée, et vous ne faites pas venir les gens au cinéma si aucun film ne passe ! » se plaît à philosopher la cheffe de file du groupe parlementaire. Dans ce « film », ses députés ont déjà gagné, en à peine quelques mois, leurs galons d’opposants studieux et crédibles. Sur le terrain, ils se déclinent en ambassadeurs du « bon sens », face à la déconnexion des « élites » et d’Emmanuel Macron, qui s’acharne à faire passer une réforme des retraites dont les Français, en majorité, ne veulent pas. « La caricature dont nous souffrions était tellement extrême qu’aujourd’hui le bénéfice que nous en tirons est démultiplié », juge-t-elle.
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Le maire LR de Montargis (Loiret), Benoît Digeon, n’avait pas non plus convié son député RN, Thomas Ménagé, pour les commémorations du 11-Novembre. Là, le préfet a tranché en faveur du frontiste et snobe désormais les invitations de l’édile. A Savignac-de-l’Isle (Gironde), la maire Chantal Gantch est aussi l’une des rares opposantes locales à avoir promis « de ne jamais faire la courte échelle à l’extrême droite » . Elle tiendra « coûte que coûte la ligne », mais ne se fait pas trop d’illusions quand elle regarde les scores frontistes autour de sa commune, près de 80 % par endroits. Plusieurs de ses homologues lui ont déjà confié leur sentiment d’impuissance. Face « à la perte de repères républicains » de leurs administrés, certains envisagent déjà de ne plus se représenter.
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