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Notre conseiller éditorial Alain Léauthier a passé vingt-cinq ans à la rédaction du quotidien de gauche. Dans les années 1980, la blanche était devenue une collègue de travail pour nombre de journalistes parisiens. Récit.

« La cocaïne, ça ne sert à rien, disait Françoise Sagan de passage chez Ardisson. Ça disperse l’esprit plus qu’autre chose. » À l’époque, disons à la fin des années 1980, ça dispersait aussi pas mal les billets de banque quand le gramme de blanche se dealait rarement en dessous de 800 F – un peu plus de 120 €. Presque moitié moins aujourd’hui. À Libération le règne de la paie unique (et faible) pour tous n’avait plus cours, mais ils n’étaient pas encore très nombreux à lever le bras, les gros salaires. Nonobstant, une partie de l’équipe plongea nez en avant dans la poudre (et ce n’était la faute de personne). À croire que nombre d’entre nous avions des revenus annexes, connus ou cachés, ou encore un bas de laine ou, va savoir, des parents d’autant plus généreux qu’ils ignoraient la destination du petit complément accordé de mois en mois.

Bref, rue Christiani, le siège du journal dans le XVIIIe arrondissement à partir de 1981, puis, dès 1987, rue Béranger, à deux pas de la place de la République, la « sniffette » devint aussi banale et, pour certains, aussi indispensable que la hausse régulière des ventes affichées quotidiennement dans la « vis » desservant les différents plateaux rédactionnels. Libé montait, le Matin (alors notre principal concurrent) baissait, nos sinus morflaient et le reste à vivre fondait. Pas à tous les étages, pas dans les mêmes proportions et pas avec la même régularité. En 1976, le Libé première époque avait publié le fameux « Appel du 18 joint », signé par tout le gotha de cette période, et réclamant la dépénalisation du cannabis sans pour autant en prôner ouvertement la consommation.

MODERNE ET BRANCHÉ

Il ne fut jamais question d’y associer la coke ou toute autre drogue qualifiée, à tort ou à raison, de dure. Moins pour des raisons de morale ou de sécurité (les services de police concernés à divers titres n’ignoraient rien de nos accoutumances) que pour une question d’image de marque éditoriale. Certes, sous la houlette de Serge July et de ses « lieutenants », le nouveau Libé post-1981 avait enterré l’utopie du journal « pour le peuple » et « sans publicité » au profit du quotidien « libéral-libertaire ». Reste que l’usage assumé et collectif de la poudre déportait incontestablement le titre vers un autre monde : celui des agences de pub, des défilés de mode, des happy few (les années Palace, à Paris), ou des winners du néolibéralisme à venir (traders and Co). Loin, si loin des origines…

(…) Marianne

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