Atlantico : Dans quelle mesure les jeunes de gauche (liberals) sont-ils plus déprimés que le reste de la société ? Quelles sont les données qui appuient cette affirmation ?
Matthew Yglesias : Il y a eu beaucoup de discussions récemment aux États-Unis sur une enquête menée par nos Centers for Disease Control qui a montré une forte augmentation de la dépression chez les adolescentes. Mais Catherine Gimbrone, Lisa Bates, Seth Prins et Katherine Keyes ont publié un article en 2021 qui décompose les chiffres de la dépression par idéologie et montre que les jeunes hommes progressistes sont en fait plus déprimés que les filles conservatrices (les jeunes femmes progressistes étant les plus déprimées de toutes). (…)
Drieu Godefridi : Il existe un consensus académique assez général sur le fait qu’en moyenne les gens de droite tendent à être plus heureux que les gens de gauche ou, pour le dire à la façon de nos amis américains, ‘Conservatives Are Happier Than Liberals’. (…) Plusieurs facteurs sont invoqués pour expliquer ce différentiel de bonheur, parmi lesquels le fait que les gens de droite vivent moins l’existence d’inégalités sur le mode de la souffrance. Tandis qu’aux gens de gauche, l’existence même d’inégalités réelles est synonyme de souffrance, une souffrance disons métaphysique, principielle et sans rémission.
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Drieu Godefridi : Je pense que cette explication est globalement exacte, mais qu’elle manque le facteur fondamental. Après tout, les inégalités réelles sont inhérentes à toute société humaine. Dès lors, comment expliquer que les jeunes de gauche soient plus malheureux que leurs aînés ? Il me semble que le facteur déterminant est ce que je nommerais l’inadéquation idéologique au réel. Tous, nous sommes animés par une vision du monde, une Weltanschauung. Des idées, idéaux. Des valeurs. Les gens de droite privilégient les liens familiaux, se réalisent par le travail, trouvent souvent une forme de satisfaction dans la foi. Ils aimeraient payer moins d’impôt, ou secouer le joug de régulations asphyxiantes. Mais ils sont capables de creuser leur voie vers une forme d’existence qui reste en rapport, fût-ce parfois lointain, avec leurs aspirations. À gauche, c’est différent. La dérive extrémiste de la gauche occidentale contemporaine est si forte, que leur idéal se trouve désormais hors de portée. Quand les contradictions dont cet idéal est hérissé ne le rendent pas tout simplement et littéralement inconcevable. Le grand soir des écologistes, par exemple, est une humanité réduite à quelques millions d’individus (Hans Jonas, Paul R. Ehrlich), pour préserver ‘Gaïa’. Que fait-on des 7 milliards d’humains excédentaires ? La décroissance, soit, mais qui fera-t-on mourir en premier ? Quand l’homme se fixe un objectif, il aime s’en approcher. L’objectif, l’horizon ultime de la gauche contemporaine, est si déréalisé, qu’il est impossible de ne serait-ce que s’engager rationnellement dans sa direction.
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Dans quelle mesure la culture de la victimisation est-elle responsable de cette situation ?
Drieu Godefridi : La culture de la victimisation me paraît un symptôme, parmi d’autres, de la radicalisation idéologique de la gauche contemporaine, et sa dissociation du réel. Nos lecteurs doivent comprendre que, selon la gauche contemporaine, on est victime du seul fait de son existence, quels que soient les actes que l’on pose ou qui sont posés à notre égard. Par exemple, l’Américain noir apparaît selon la Critical Race Theory comme victime d’un système de droit qui reste, en 2023, ‘white supremacist’ dans chacune de ses catégories et représentations. Cela, quel que soit son statut social, et peu importe ses réalisations. Même s’il est médecin, artiste, politique ou athlète au plus haut niveau. Ce retour en force de l’essentialisme, dans sa version la plus naïve et haineuse, enferme les individus dans leur épiderme.
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Drieu Godefridi publie L’écologisme, nouveau totalitarisme ? 2ème édition
Lors des précédentes campagnes électorales, le démocrate Bernie Sanders était devenu le candidat préféré de tout un pan de la jeunesse américaine. (Alex Wong / AFP)
- Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).
- Matthew Yglesias est un blogueur et journaliste américain, spécialisé dans l’économie et la politique. Il a publié des articles pour The American Prospect, The Atlantic ou bien encore Slate.