ENQUÊTE – Influencées par la pornographie, de nombreuses jeunes femmes sont poussées à vendre leur corps pour se faire de l’argent de poche. Elles se retrouvent piégées par des caïds dont elles sont amoureuses.
Un smartphone à 70 euros, une chambre d’hôtel à 60, et une adolescente. Il n’en faut guère plus, aux petits dealers de quartier, pour amasser plusieurs centaines d’euros par heure. Depuis sa mise au jour il y a une décennie, le phénomène de proxénétisme de cité ne cesse de s’amplifier. À un tel point que l’on constate, peu à peu, un «basculement du trafic de drogue vers le trafic d’êtres humains », nous indiquent plusieurs sources haut placées.
En cause, un milieu bien moins compétitif et dangereux que celui des stupéfiants, où les bandes armées, durablement installées, font parler la poudre en cas de nouveau concurrent. «Le trafic de drogue implique un investissement d’argent important pour obtenir de la came, analyse auprès du Figaro Christophe Molmy, ancien de la BRI et actuel chef de la Brigade de protection des mineurs (BPM) à Paris. Alors qu’avec ce type de proxénétisme, il suffit d’une copine prête à se prostituer…»
(…) Plus de 400 victimes sont identifiées chaque année. Parmi elles, la moitié de mineures (211 précisément en 2022), précise la commissaire, pour qui ce maquereautage est à lier aux 7000 à 10.000 mineurs prostitués en France, d’après une estimation du gouvernement et des associations. «Il y a une telle demande, de ce qu’on peut appeler des pédocriminels, que ce récent business ne peut que prospérer», assure au Figaro Lorraine Questiaux, avocate chargée de mission juridique pour le Mouvement du nid, association de soutien aux personnes prostituées.
(…) L’expression «proxénétisme de cité» passe mal auprès des milieux associatifs. «C’est une formule réductrice: le trafic d’êtres humains et la prostitution des mineurs vont bien au-delà des banlieues», nous confie une présidente d’association. Or, elle décrit une «réalité, différente du proxénétisme classique, dans lequel des réseaux étrangers très organisés contrôlent des dizaines de victimes», reprend Elvire Arrighi. D’une part, car il est historiquement le fait de «petits trafiquants» issus de «quartiers de reconquête républicaine», exploitant en majorité des femmes de nationalité française. D’autre part, parce qu’il n’est encore que «peu professionnalisé, contrairement aux réseaux internationaux» qui soumettent des victimes issues d’Amérique latine, de Chine, ou d’Europe de l’Est.
(…) Cette infernale réalité, Assia, 15 ans en 2019, l’a vécu durant de longs mois, relate au Figaro sa mère, Jennifer Pailhé. L’adolescente – placée en foyer, née d’un père toujours absent, et ayant subi des incestes par son grand-père paternel – rencontre en colonie de vacances un délinquant de trois ans son aîné, originaire d’une cité de Gonesse (Val-d’Oise). Fuguant de son centre de mineurs pour le retrouver, Assia tombe peu à peu sous sa coupe, le considérant comme le point de fixation d’une existence chaotique. Le «petit ami» l’isole progressivement, accède à ses réseaux sociaux, lui interdit de contacter sa mère. S’inquiétant d’avoir de moins en moins de nouvelles de sa fille, Jennifer fouille la boîte mail d’Assia, et découvre des centaines de messages provenant d’hommes libidineux, réagissant à ses photos dénudées publiées sur un site de petites annonces. La vérité éclate: Assia se prostitue.
(…) «Je l’ai récupérée plusieurs fois de force. Mais ça ne fonctionnait pas – elle y retournait encore et encore», nous raconte Jennifer. C’est quand Assia accouche d’un bébé, «sans doute d’un client», que l’influence de son proxénète se dissout. La trentenaire, en tissant de nouveau des liens, apprend de son adolescente l’horreur qu’elle a vécue. «Il lui disait “Si tu ne te prostitues pas, je vais devoir voler, et je finirais en prison. Tu ne veux pas qu’on se sépare, alors sacrifie-toi”, se souvient-elle. Elle était privée d’hygiène, de nourriture, on la forçait à des rapports non consentis.» D’autres filles étaient également sous son joug, ainsi que sous celui d’amis du Gonessien, selon le témoignage d’Assia. Jennifer Pailhé, qui a depuis fondé l’association Nos ados oubliés, attend aujourd’hui le procès du proxénète de sa fille. Il aura lieu fin mars.