Alors que le projet de loi sur l’immigration ne sera pas débattu dans l’immédiat, le sujet reste pleinement d’actualité et un état des lieux de l’opinion en la matière s’impose. S’appuyant sur les résultats d’une enquête approfondie, Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA France, analyse le ressenti des Français sur cette problématique hautement inflammable et qui interroge la permanence du clivage droite-gauche.
Le projet de loi sur l’immigration, présenté en Conseil des ministres début février, devait être examiné au Parlement à compter de la fin mars. Compte tenu du contexte, tant social que politique, lié notamment à la réforme des retraites, le sujet a été jugé trop sensible pour être débattu dans l’immédiat. Le président de la République a ainsi annoncé le 22 mars dernier qu’il allait finalement être ajourné et découpé en plusieurs textes. Pour autant – et en dépit de ce qui peut être perçu comme une manœuvre pour éviter des débats de fond sur un sujet hautement inflammable –, le sujet reste pleinement d’actualité. Forts du succès de la convention citoyenne sur la fin de vie, certains membres de la majorité plaident d’ailleurs pour qu’on renouvelle l’exercice sur le sujet de l’immigration. Dans ce contexte, il nous a semblé pertinent de dresser un état des opinions sur le sujet. Au-delà de la mesure de l’adhésion ou non aux dispositions initialement prévues par le projet de loi, il s’agit de questionner le rapport des Français à l’immigration et son évolution au cours des dernières années, pour mieux comprendre le contexte dans lequel vont s’ouvrir les débats. En effet, si le sujet s’est invité furtivement au début de la dernière campagne présidentielle, notamment en fin d’année 2022, il a ensuite été éclipsé par d’autres thématiques (pouvoir d’achat, crise énergétique). Il nous semble donc intéressant de « prendre le pouls de l’opinion » en profondeur sur cette thématique majeure. Cette note s’appuie sur les résultats d’une étude réalisée par BVA auprès d’un échantillon de 1 001 Français âgés de 18 ans et plus (représentativité assurée par la méthode des quotas), par Internet, du 31 janvier au 1er février 2023.
L’immigration, l’éléphant au milieu de la pièce
Un sujet qui suscite des réactions spontanées très négatives, vives et parfois même violentes
Au-delà des discours construits ou empreints d’idéologie, il est intéressant, pour tout sujet, de voir quelles sont les réactions qu’il suscite spontanément, avant même d’introduire des éléments permettant de structurer la réflexion de chacun.
À cet égard, l’analyse des réponses à la question ouverte « Spontanément, quand on vous parle d’immigration en France, quelles sont toutes les choses qui vous viennent à l’esprit ? » est édifiante et surtout sans appel. Une écrasante majorité des verbatims analysés – plus de 8 sur 10 – sont d’une tonalité négative, voire très négative. Les réactions positives (7% des citations seulement) tout comme celles, plus neutres, qui relèvent de constats souvent liés à l’actualité se font beaucoup plus rares (8% des citations).
Il est vrai que beaucoup d’interviewés ne se sont pas prononcés ou ont répondu que le sujet ne suscitait chez eux aucune évocation particulière. Il faut le souligner. Mais rares sont néanmoins ceux qui se sont emparés du sujet pour défendre l’immigration, alors que les réfractaires se sont exprimés massivement (85% des citations), parfois avec véhémence, souvent avec colère. C’est peut-être même cela qui frappe le plus : si un certain nombre d’études ont montré le rapport négatif de beaucoup de Français à ce sujet, le fait qu’ils l’expriment de façon spontanée en des termes si virulents interpelle.
Parmi les quelques éléments positifs (7% des verbatims au total), une idée centrale émerge : celle selon laquelle l’immigration constitue une chance pour la France et est un levier d’enrichissement culturel. Les autres éléments « positifs » – cités par une poignée d’individus seulement – concernent la nécessité d’aider les immigrés et d’accueillir les réfugiés. 8% des personnes s’étant exprimées ont d’ailleurs évoqué des éléments liés au contexte international, comme l’arrivée de migrants « qui fuient leur pays car ils ne peuvent faire autrement à cause de la guerre ». Parmi ces éléments de pur constat, quelques-uns évoquent les difficultés et discriminations auxquelles font face les immigrés. D’autres – toujours peu nombreux – considèrent l’immigration comme une solution pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs.
Les résultats de la question fermée sur les thématiques auxquelles les Français associent le plus l’immigration confirment, dans les grandes lignes, l’analyse des perceptions spontanées. Tous les sujets relatifs à l’actualité, comme les migrations liées à des contraintes climatiques (13% des citations totales), les réfugiés ukrainiens (13% également) ou encore les débats autour des ONG et des associations venant en aide aux migrants, notamment en mer Méditerranée (9%), arrivent en queue de peloton.
Des réactions autour de l’immigration entre fantasmes et peurs
Quatre grands registres structurent les citations négatives (85% des verbatims, donc) autour du sujet :
- l’idée, exprimée de façon claire et sans ambages, selon laquelle il y a tout simplement « trop d’immigrés » en France ;
- l’idée, plus nuancée, selon laquelle la France n’a pas les moyens d’accueillir des immigrés ;
- le sentiment que l’immigration est la source de nombreux maux (violence, insécurité…) ;
- enfin, le sentiment que les immigrés jouissent de (trop) nombreux droits.
En complément de ces quatre registres, on note également, évoquées par certains, la possibilité d’une « immigration choisie » ou l’ouverture à une immigration limitée dès lors que les immigrés s’intègrent et travaillent.
Arrêtons-nous un instant sur ces différents registres. Le premier n’appelle pas vraiment de commentaire ni de précisions. Il traduit un sentiment assez net et radical évoqué spontanément par un quart environ des personnes qui se sont exprimées sur ce sujet. Ces personnes ont souvent le sentiment que « notre pays est une passoire ». « Il y a trop d’immigration, tout est dit », nous répond cet interviewé.
Le deuxième registre (autour de l’idée selon laquelle la France n’a pas les moyens d’accueillir des immigrés) est plus nuancé et se veut fondé sur une analyse de la situation et la prise en compte de différents facteurs, notamment de nature économique :
Verbatims de Français
> Il faut contrôler l’immigration par tous les moyens, nous n’avons plus les moyens d’accueillir toute la misère du monde.
> Nous n’avons pas la capacité et les moyens de subvenir aux besoins de personnes supplémentaires arrivant sur le territoire français.
Certains vont jusqu’à « modéliser » les effets de l’immigration sur la dépense publique « qui se trouve exacerbée » et entraîne selon eux une hausse de la fiscalité pour les Français. D’autres le disent plus simplement : les immigrés coûtent cher à la France.
Le troisième registre – très présent puisqu’il représente plus du quart des citations spontanées – puise souvent davantage dans l’a priori ou le sentiment que dans le vécu. Il est pourtant l’un des moteurs les plus puissants du rejet de l’immigration, voire, dans certains cas, du racisme. C’est l’association étroite – pour ne pas dire l’amalgame – qui est faite par de nombreux Français entre l’immigration et divers maux auxquels notre société serait confrontée, en particulier l’insécurité, la délinquance et le terrorisme.
Verbatims de Français
> Insécurité, trop de violence, viol, crime : injustice !
> Délinquance, insécurité, augmentation des meurtres et communautarisme.
> Les racines de la France se perdent avec l’islamisation de masse et l’insécurité augmente de plus en plus car les immigrés savent qu’ils ne seront pas renvoyés dans leur pays d’origine et ne seront pas punis.
On retrouve ce registre dans les résultats de la question fermée sur les thématiques auxquelles les Français associent le plus l’immigration. En effet, les deux grandes thématiques qui émergent – parmi une liste de douze – et dominent toutes les autres sont l’insécurité et la violence (42% des citations) ainsi que l’islamisme (32%), juste devant l’intégration économique, sociale et culturelle des immigrés dans notre société (28%).
Enfin, le dernier registre évoqué spontanément est assez protéiforme : on y trouve l’idée selon laquelle les immigrés ont trop de droits, jouissent de nombreux avantages, ou encore celle selon laquelle l’État est trop laxiste sur le sujet :
Verbatims de Français
> Aujourd’hui, nous assistons à un laxisme de la part de nos politiques sous couvert que la France est la patrie des droits de l’homme.
> Ils pourront sûrement profiter des aides auxquelles je ne n’aurai sûrement jamais droit…
Le « grand déclassement », plus que le « grand remplacement »
Derrière ce dernier registre, on perçoit, en creux, le sentiment d’une profonde injustice chez de nombreux Français. Le problème n’est pas tant, selon eux, que les immigrés aient accès à des aides, voire qu’ils viennent en France pour bénéficier de ces aides, le problème est surtout que cela se fasse au détriment des Français qui, eux, ne jouissent pas – dans leurs perceptions – des mêmes droits, des mêmes aides et du même soutien de l’État. Nombreux sont ceux qui expriment ainsi un sentiment d’injustice, pour ne pas dire d’abandon. Le sujet de l’assistanat (« ceux qui profitent du système » versus « ceux qui travaillent ») est présent en toile de fond dans nos enquêtes depuis longtemps, mais il s’exprime ici avec d’autant plus de véhémence que les personnes « soupçonnées » d’en profiter ne sont pas françaises. Les interviewés qui se positionnent sur ce registre ont le sentiment que l’État choisit d’aider les immigrés plutôt que des Français comme eux qui, dès lors, se trouvent livrés à leurs difficultés. À leurs yeux, l’aide aux immigrés se fait à leur détriment.
Verbatims de Français
> Mieux vaut être immigré en France que français. Plus d’aides, plus de droits…
> Il y a trop de personnes en irrégularité sur le territoire et qui viennent juste profiter des aides données sans rien en retour (ni travail, ni effort d’intégration…) alors que beaucoup de Français n’ont pas le droit à toutes ces aides alors que l’on travaille, paye nos impôts…
> La France accepte beaucoup trop d’immigrés et préfère les aider eux plutôt que les Français, les vrais ! Plus jeune, j’ai voulu rentrer dans un programme, on m’a clairement dit que j’étais une fille bien, avec un beau parcours et que je n’avais rien à faire là. En sortant du bureau, en voyant les jeunes qui eux faisaient partie du programme, j’ai compris qu’il fallait être noir ou s’appeler Rachida pour en faire partie […]. ll faut commencer par s’occuper des plus démunis de notre pays avant de s’occuper de ceux des autres pays !
On retrouve, exprimée différemment, la même idée dans le deuxième registre (« La France n’a pas les moyens d’accueillir des immigrés »). Nombreux sont les répondants à dire que, dans un contexte économique et social contraint, la France doit d’abord s’occuper des « siens ». Et alors même que nombre de nos concitoyens ont le sentiment d’une dégradation des services publics (en particulier de santé et éducatifs), d’un abandon de l’État dans certains territoires, il leur est d’autant plus difficilement tolérable d’accepter que de l’argent public puisse être utilisé pour aider des étrangers venus sur leur territoire. Certains ont par ailleurs le sentiment qu’on leur demande de faire des efforts, de travailler davantage pour payer plus d’impôts dont ils ne bénéficieront pas in fine. Tous ces éléments convergent et viennent nourrir un sentiment de malaise chez de nombreux Français. Ce malaise repose en partie sur un sentiment de déclassement collectif, voire individuel. L’immigration recoupe donc d’autres problématiques, tout aussi centrales les unes que les autres car elles sont ce qui permet de bâtir les fondations de notre société et du vivre-ensemble. Or, aujourd’hui, celles-ci sont clairement mises à mal.
Pour autant, alors que c’est un sujet qui laisse peu indifférent et suscite au contraire chez nombre de nos concitoyens des sentiments très forts et parfois très violents, l’immigration n’est pas tellement présente dans le débat public, si l’on excepte la dernière séquence électorale présidentielle, et notamment la période octobre-décembre 2022, qui s’étale en gros de l’entrée en campagne d’Éric Zemmour jusqu’au congrès pour désigner le candidat Les Républicains. Le sujet demeure d’ailleurs très marqué politiquement. Il reste quasiment absent des débats à gauche. Est-ce parce qu’il constitue toujours une ligne de clivage forte, entre droite et gauche, ou plutôt, comme le suggère un interviewé, parce que « l’immigration, cela reste un sujet tabou » ?
L’immigration constitue-t-elle toujours un marqueur fort du clivage entre la gauche et la droite ?
L’accueil des migrants, un élément clé de différenciation…
S’il subsiste une ligne de clivage assez nette entre sympathisants de la gauche et sympathisants de la droite, c’est sur la question de l’accueil des migrants. Les résultats de la question fermée sur les thématiques auxquelles les Français associent le plus l’immigration en attestent. Ainsi, dans des proportions différentes, les sympathisants de Reconquête ! (90%), du Rassemblement national (69%) et des Républicains (68%) placent tous l’insécurité et la violence en tête de leurs réponses, devant l’islamisme, cité par 79% des sympathisants de Reconquête !, 56% des sympathisants du Rassemblement national et 46% des sympathisants Les Républicains. On notera un seul point de divergence : les sympathisants du Rassemblement national et de Reconquête ! complètent leur podium par les trafics de drogue à l’international (33% de citations dans les deux cas), alors que les sympathisants Les Républicains citent l’intégration.
A contrario, interrogés sur les thématiques auxquelles ils pensent le plus quand on leur parle d’immigration, les sympathisants de la gauche citent en premier (à hauteur de 38%) les conditions d’accueil des migrants, à égalité avec le racisme que peuvent subir les personnes immigrées (38% également), devant le mélange des cultures et l’enrichissement culturel de la société (33%). On observe toutefois des disparités entre sensibilités à gauche : si les sympathisants de La France insoumise et d’Europe Écologie-Les Verts citent prioritairement les conditions d’accueil des migrants (respectivement 46% et 50% de citations), les sympathisants du Parti socialiste ne placent ce sujet qu’en quatrième position et citent en premier le racisme (40%), devant l’intégration économique, sociale et culturelle des immigrés. À ce titre, ils se rapprochent des sympathisants de Renaissance, pour qui il s’agit du premier sujet (33%).
En réalité, aucune hiérarchie n’émerge vraiment chez ces derniers : viennent juste derrière les conditions de renvoi des personnes en situation irrégulière dans leur pays d’origine (31%), à égalité avec les besoins de main-d’œuvre dans certains métiers en tension (31%), eux-mêmes juste devant les thématiques de l’insécurité et de l’islamisme (30% de citations chacune). Cette quasi-absence de hiérarchie chez les sympathisants Renaissance est assez révélatrice du positionnement intermédiaire de cette population et du fameux « en même temps » théorisé par Emmanuel Macron.
D’autres résultats viennent témoigner d’une ligne de clivage toujours importante sur le sujet spécifique de l’accueil des migrants. Ainsi, si 81% des sympathisants de la gauche ont le sentiment qu’il existe des différences de traitement envers les réfugiés en France selon leur pays d’origine ou leur religion (sans distinction entre sensibilités), tout comme les sympathisants de Renaissance, ce n’est le cas que de 47% des sympathisants de Reconquête ! et de 57% des sympathisants du Rassemblement national. Les sympathisants Les Républicains sont pour leur part 71% à le penser. De même, si les sympathisants Les Républicains (75%), du Rassemblement national (71%), de Reconquête ! (73%), mais aussi de Renaissance (71%) estiment qu’en France les réfugiés sont en général plutôt bien accueillis, les sympathisants de la gauche sont beaucoup plus tempérés dans leur jugement (56% seulement approuvent cette idée, sans différence entre sensibilités). Enfin, résultat le plus parlant, si 83% des sympathisants de la gauche – là encore toutes sensibilités confondues dans des proportions presque identiques – estiment que les immigrés sont victimes de discriminations en France, tout comme 68% des sympathisants de Renaissance, ce n’est le cas que de 54% des sympathisants Les Républicains et surtout de 29% des sympathisants du Rassemblement national et de 23% des sympathisants de Reconquête !. Ce sujet demeure donc extrêmement clivant et constitue même un marqueur fort : de 89% chez les sympathisants de La France insoumise à 23% chez les sympathisants de Reconquête !, cette idée évolue de façon totalement linéaire sur l’axe allant du plus à gauche au plus à droite.
… même si l’on observe globalement un certain durcissement sur le sujet, y compris à gauche
Alors qu’en 2018, selon une étude réalisée par BVA pour L’Obs, 52% des Français estimaient que les demandeurs d’asile ou migrants actuellement présents sur le territoire français vivaient dans des conditions inacceptables, désormais, une majorité de Français pensent au contraire que leurs conditions de vie sont acceptables (57% ; +14 points en cinq ans). 42% seulement jugent qu’ils vivent dans des conditions inacceptables, soit 10 points de moins qu’en 2018. Est-ce un effet conjoncturel lié à l’accueil des réfugiés ukrainiens – perçu positivement – ou l’expression de quelque chose de plus profond ? La grille de lecture par sensibilités politiques laisse entrevoir quelque chose de plus structurel. Si une très grande majorité de sympathisants du Rassemblement national (81%) et une majorité de sympathisants Les Républicains (61%) estiment que les migrants vivent dans des conditions acceptables, ce n’est le cas « que » de 47% des sympathisants de la gauche. Pourtant, chez tous, on observe une hausse du sentiment selon lequel les migrants vivent dans des conditions acceptables : on constate en effet une progression dans toutes les catégories, à gauche comme à droite. De quoi cela est-il le nom ?
Rejoignant les réponses spontanées à la question ouverte que nous avons analysées au début de cette note, les résultats de la question fermée sur les perceptions à l’égard de l’immigration montrent que, pour près de sept Français sur dix (69%), « il y a trop d’immigrés en France aujourd’hui ». L’adhésion à cette idée enregistre une progression de 6 points par rapport à 2018. Ce qui est frappant, c’est que, bien que le sujet demeure un peu clivant, il l’est moins qu’on aurait pu l’imaginer, et surtout moins que par le passé. Le sentiment qu’il y a trop d’immigrés aujourd’hui en France est beaucoup plus marqué à droite, et majoritairement partagé tant par les sympathisants du Rassemblement national (95%) que par ceux de Reconquête ! (93%) ou encore par Les Républicains (83%). Il est légèrement majoritaire chez les sympathisants de la majorité présidentielle (59%). Mais il est loin d’être totalement absent chez les sympathisants de la gauche : ils sont près d’un sur deux (48%) à penser qu’il y a trop d’immigrés en France aujourd’hui (+21 points depuis 2018). Ce sentiment est même majoritaire chez les sympathisants de La France insoumise (51% ; +20) et ceux d’Europe Écologie-Les Verts (50% ; +22). S’il est beaucoup plus faible chez les sympathisants du Parti socialiste (43%), il est toutefois présent chez plus de quatre sympathisants sur dix et également en progression par rapport à 2018 (+18 points).
Parallèlement, 39% seulement des Français se déclarent d’accord avec l’idée selon laquelle, « de manière générale, les immigrés sont bien intégrés en France », contre 60% qui ne sont pas d’accord, dont près de deux Français sur dix (19%) « pas du tout d’accord ». Si le sentiment d’une mauvaise intégration des immigrés est beaucoup plus marqué à droite (22% des sympathisants de Reconquête ! pensent qu’ils sont bien intégrés, tout comme 28% seulement des sympathisants du Rassemblement national et 39% des sympathisants Les Républicains), il est également majoritaire chez les sympathisants de la gauche, qui sont moins d’un sur deux à penser que les immigrés sont bien intégrés (48%). On note des différences d’appréciation selon la sensibilité politique. Les sympathisants de La France insoumise estiment dans leur majorité qu’ils sont bien intégrés (53%), tandis que les sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts (43%) et du Parti socialiste (42%) sont minoritaires à le penser. Les sympathisants de la majorité présidentielle affichent la même tendance (43%).
Au final, si l’on reprend la distinction que nous avions opérée dans une précédente enquête en 2018, sur la base de la conjonction de deux questions, on peut toujours diviser la population française en trois grandes catégories, le bloc « réfractaire » ayant tendance à se renforcer depuis trois ans :
- les OUVERTS : ce sont des individus qui ne sont pas d’accord avec l’idée selon laquelle il y a trop d’immigrés en France aujourd’hui. Ils représentent 31% de la population contre 35% en 2018, soit une baisse de 4 points. La moitié des cadres font partie de cette catégorie (49%), tout comme la moitié des sympathisants de la gauche (51%) et 41% de ceux de Renaissance ;
- les RÉSERVÉS : ce sont des individus qui estiment qu’il y a trop d’immigrés en France aujourd’hui mais qui, dans le même temps, pensent que la France doit accueillir les réfugiés qui lui demandent l’asile. Ces individus représentent 35% de la population, comme en 2018. Ils se caractérisent par leur proximité avec la majorité présidentielle : 45% des sympathisants de Renaissance se situent en effet dans ce groupe, soit 10 points de plus que la moyenne. Toutefois, 36% des sympathisants de la gauche se situent aussi dans cette catégorie, tout comme 36% des sympathisants Les Républicains.
- les RÉFRACTAIRES : ce sont des individus qui pensent qu’il y a trop d’immigrés en France aujourd’hui et qui ne sont pas d’accord avec l’idée selon laquelle la France doit accueillir les réfugiés qui lui demandent l’asile. Ces individus représentent 34% de la population française contre 30% en 2018, soit une progression de 4 points. Les sympathisants du Rassemblement national et de Reconquête ! appartiennent en grande majorité à ce groupe (respectivement 70% et 79%).
La coexistence de sentiments ambivalents chez les sympathisants de la gauche
On le mesure donc de façon assez nette : les opinions des Français sur le sujet de l’immigration se sont durcies. Or, cette évolution n’est pas l’apanage de la droite. Les sympathisants de la gauche sont désormais, on l’a vu, près d’un sur deux à estimer qu’il y a trop d’immigrés en France. Et ils sont à peine un sur deux à considérer que, de manière générale, les immigrés sont bien intégrés dans notre pays.
Pour autant, on l’a observé également, ces sympathisants de la gauche continuent de se distinguer assez nettement des sympathisants de la droite sur la question plus spécifique des migrants. Ils sont ainsi 80% à estimer que la France doit accueillir les réfugiés qui lui demandent l’asile parce qu’ils sont persécutés dans leur pays. Ils sont également 73% à penser que chacun d’entre nous est responsable de l’accueil et de l’amélioration des conditions de vie des réfugiés. Enfin, ils sont 69% à déclarer que l’immigration est une chance pour la France (sans grande différence entre les diverses sensibilités de la gauche).
On voit bien toute la tension qui peut exister en eux sur ces sujets, ce qui rend la question d’autant plus difficile à aborder. Comment faire cohabiter le sentiment grandissant qu’il y a trop d’immigration avec l’idée selon laquelle il est de notre devoir d’accueillir ceux qui n’ont d’autre choix que de fuir leur pays ? C’est une tension bien réelle qui ne doit pas être balayée d’un revers de la main ou niée par les responsables de la gauche s’ils ne veulent pas se couper de leur électorat ou risquer l’éternel procès en déconnexion d’avec les citoyens. Cette tension semble s’articuler autour d’« immigration actuelle » (l’accueil des migrants) versus « immigration ancienne » (avec la question de l’intégration). Quoi qu’il en soit, il existe bien « un sujet immigration » et il faut le prendre par les cornes.
D’ailleurs, 83% des Français considèrent qu’il est compliqué de parler d’immigration aujourd’hui. Si ce sentiment est largement partagé toutes tendances politiques confondues, il est en particulier exacerbé chez les sympathisants du Parti socialiste (92%), tout comme chez ceux de Renaissance (92% également). La preuve qu’il s’agit d’un élément crucial qui ne peut plus être esquivé par « les sociaux-démocrates » français… mais qui reste néanmoins tabou sur ce segment de l’échiquier politique. L’examen prochain du projet de loi sur l’immigration sera l’occasion de le mettre au centre de la table.
Un projet de loi plus rassembleur qu’il n’y paraît ?
Un sujet complexe sur lequel l’action du gouvernement est pour le moment plutôt mal perçue
L’immigration est donc un sujet qui suscite des réactions très fortes et parfois contrastées. De ce fait, il génère mécaniquement des attentes très fortes, qu’il paraît difficile de combler. Au regard du contexte que nous venons d’évoquer, il n’est pas surprenant que plus des deux tiers des Français aient une opinion négative de l’action d’Emmanuel Macron et du gouvernement en la matière (68%). Sans surprise, les jugements à l’égard de l’action de l’exécutif sur le sujet sont très clivés politiquement. Seuls les sympathisants de Renaissance expriment une opinion majoritairement positive, et il est à noter qu’ils ne sont « que 69% », un résultat qui apparaît en retrait par rapport au soutien généralement enregistré de la part des sympathisants de la majorité présidentielle sur d’autres sujets, plus souvent proche de 80%. Cette adhésion moins franche des soutiens habituels de l’exécutif témoigne de la complexité du sujet.
Dans les autres familles politiques, ce sont les sympathisants Les Républicains qui sont les moins critiques à l’égard de l’action du gouvernement sur le sujet, même s’ils ne sont que 40% à déclarer en avoir une opinion positive. À gauche, un tiers seulement des sympathisants en ont une bonne opinion (34%), avec des résultats qui s’échelonnent de 27% chez les sympathisants de La France insoumise à 33% chez les sympathisants du Parti socialiste. Enfin, les sympathisants du Rassemblement national et de Reconquête ! rejettent en bloc la politique gouvernementale en la matière, puisqu’ils ne sont que 8% (pour les deux sensibilités politiques) à exprimer un jugement positif. Le projet de loi immigration est-il de nature à changer la donne ?
Des points de convergence forts
Lorsqu’on passe en revue les différentes dispositions qui pourraient être mises en place par le gouvernement dans le cadre des différents textes à venir, on s’aperçoit qu’elles reçoivent toutes un accueil favorable, pour ne pas dire très favorable. À une exception près, l’adhésion aux huit dispositions testées dans le cadre de notre enquête s’échelonne à des niveaux compris entre 73% et 93%.
La mesure qui rencontre l’assentiment le plus marqué est le durcissement des amendes à l’encontre des « marchands de sommeil » (93% des Français y sont favorables). Elle devance l’augmentation des amendes à l’encontre des passeurs, mesure soutenue par près de 9 Français sur 10 également (89%). Conçue initialement comme un moyen de lutter contre l’immigration irrégulière, l’aggravation de la répression contre les passeurs et les « marchands de sommeil » rencontre le soutien des sympathisants de la gauche comme de la droite, possiblement pour des raisons différentes : volonté de protéger les migrants pour les sympathisants de gauche, volonté de lutter contre l’immigration irrégulière pour les sympathisants de la droite. Toujours est-il que le résultat est le même. 98% des sympathisants de Renaissance sont favorables au fait de durcir les amendes à l’encontre des « marchands de sommeil », tout comme 95% des sympathisants Les Républicains, 96% des sympathisants du Rassemblement national et 93% des sympathisants de Reconquête !, mais aussi 96% des sympathisants du Parti socialiste, 90% des sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts et 88% des sympathisants de La France insoumise. On observe des résultats assez similaires sur l’augmentation des amendes à l’encontre des passeurs, si l’on excepte les sympathisants de La France insoumise, un peu plus en retrait sur cet item, avec 74% d’adhésion toutefois.
Les mesures relatives à l’intégration et aux titres de séjour reçoivent elles aussi un accueil très majoritairement favorable. Ainsi, alors que le gouvernement envisageait de réintroduire une mesure de la loi « séparatisme » initialement censurée par le Conseil constitutionnel en 2021, pour « rendre possible le refus, le retrait ou le non-renouvellement de certains titres de séjour » en cas de non-respect des « principes de la République » ou encore « en cas de menace grave pour l’ordre public », souligne le texte, 83% des Français sont favorables au fait de conditionner l’obtention et le maintien d’un titre de séjour au respect des valeurs de la République. Si c’est chez les sympathisants de Renaissance que l’adhésion à cette mesure est la plus forte (98%), elle est importante également chez les sympathisants Les Républicains (83%) tout comme chez les sympathisants de la gauche (86%), toutes sensibilités confondues. Seuls les sympathisants du Rassemblement national sont plus en retrait (73% d’adhésion, le quart restant étant possiblement opposé à l’idée même d’accorder des titres de séjour, quelles que soient les conditions). Sur le même registre, 81% des Français sont favorables à la mise en place d’un examen de français pour obtenir un titre de séjour. Si les différences entre gauche et droite se font un peu plus marquées, il est toutefois à noter que 70% des sympathisants de la gauche y sont favorables. Ce soutien est de 90% chez les sympathisants de Renaissance, 91% chez les sympathisants Les Républicains et 90% pour les sympathisants du Rassemblement national.
Des mesures qui dessinent des lignes de clivage un peu plus fortes, tout en suscitant une adhésion majoritaire
Alors que le texte initial réduisait les protections contre les décisions d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) en cas de menace grave pour l’ordre public, même lorsque les étrangers concernés ont des attaches en France, 8 Français sur 10 approuvent cette disposition (80%). Si elle s’avère davantage clivante, elle suscite néanmoins l’adhésion d’une majorité des sympathisants de la gauche, avec d’importantes disparités : 54% des sympathisants de La France insoumise sont favorables à la facilitation de la délivrance et de l’exécution des OQTF, un résultat qui monte à 69% chez les sympathisants socialistes et à 70% chez les sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts. Cette mesure est approuvée par 89% des sympathisants de Renaissance et plus de 9 personnes sur 10 à droite et à l’extrême droite (96% des sympathisants Les Républicains, 94% des sympathisants du Rassemblement national).
Face à la pénurie de main-d’œuvre rencontrée par certains secteurs économiques (restauration, bâtiment…), le projet de loi envisageait de créer un titre de séjour spécial pour les personnes exerçant un métier en tension. En écho aux résultats de la question ouverte initiale, où certains interviewés évoquaient spontanément la possibilité d’une « immigration choisie », près des trois quarts des Français sont favorables à cette disposition (74%). Elle est, contrairement aux précédentes, davantage soutenue par les sympathisants de la gauche (79% dont 87% des sympathisants du Parti socialiste), mais aussi par les sympathisants Les Républicains (84%) et de l’extrême droite (63% des sympathisants du Rassemblement national, 46% seulement des sympathisants de Reconquête !). Les sympathisants de Renaissance l’approuvent à 93%. Toujours sur le registre de l’emploi, et pour lutter contre le travail illégal, près des trois quarts des Français également (73%) sont favorables à ce que l’on sanctionne d’une amende de 4 000 euros l’emploi d’une personne en situation irrégulière. Sur cette mesure, contrairement à la précédente, sans doute car on évoque une sanction, l’approbation est nettement plus forte à l’extrême droite (90% des sympathisants du Rassemblement national, 87% des sympathisants de Reconquête !), mais majoritaire également chez les sympathisants de Renaissance (79%), Les Républicains (72%), mais, dans une moindre mesure, du Parti socialiste (69%) et d’Europe Écologie-Les Verts (64%). L’approbation est tout juste majoritaire (mais elle l’est) chez les sympathisants de La France insoumise (51%).
Une seule mesure de nature à différencier véritablement droite et gauche
Enfin, le projet de loi prévoyait l’interdiction du placement en centre de rétention administrative (CRA) des mineurs étrangers de moins de 16 ans. Le gouvernement entendait ainsi traduire sur le sujet la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il est frappant de constater que, bien que voulue par la CEDH, c’est la seule mesure qui ne rencontre pas l’assentiment d’une majorité de Français (44% seulement), sans doute parce qu’il s’agit d’une mesure plus bienveillante sur le sujet alors que, on l’a vu, les Français se montrent globalement sévères dans leur approche de la thématique. Seuls les sympathisants de la gauche, toutes sensibilités confondues, y sont favorables, d’une courte majorité cela étant (57%), alors que les sympathisants Les Républicains (36% seulement l’approuvent) comme du Rassemblement national (27%) et de Reconquête ! (20%) y sont majoritairement opposés. Les sympathisants de Renaissance, eux, fidèles à leur positionnement intermédiaire, sont 50% à approuver cette mesure.
À ce stade, il paraît difficile d’anticiper quelles seront les réactions des Français à l’occasion d’un débat sur le sujet de l’immigration, même s’il est probable qu’il n’ait finalement pas lieu. Certaines dispositions suscitent clairement l’approbation de tous, quelle que soit la sensibilité politique. D’autres, comme la mise en place d’un examen de français pour obtenir un titre de séjour, dessinent plutôt un bloc convergeant de Renaissance à Reconquête ! tandis que d’autres encore, comme la création d’un titre de séjour spécial pour les métiers en tension, révèlent plutôt une « alliance » courant de La France insoumise aux Républicains. Les alliances potentielles apparaissent donc fluctuantes même si l’on sent poindre, toujours pas très loin, les différences entre sympathisants de gauche et de droite sur la question de l’accueil des migrants. Mais, hormis sur le sujet de l’interdiction du placement en centre de rétention des mineurs de moins de 16 ans, les véritables divergences de vues sont assez rares.
Au regard des résultats de cette enquête, on voit clairement, d’une part, la nécessité d’aborder le sujet de manière frontale et, d’autre part, la possibilité d’un alignement plus fort qu’on aurait pu l’imaginer.
Pour autant, l’exécutif a fait le choix du renoncement, anticipant des prises de position « de principe » divergentes, notamment de la part des élus de gauche qui se seraient sans doute opposés au texte avec force, alors même que leur électorat lui était globalement favorable. Cela pour ne pas s’exposer au risque d’un texte qui ne parviendrait pas à recueillir de majorité. Il est évident que sur ce sujet, plus que sur tout autre, il s’agit de maintenir un équilibre ténu et difficile entre les valeurs humanistes qui sont celles de la France et une réalité parfois plus complexe. Un sujet théoriquement idéal pour un président « ni de droite, ni de gauche ». Dommage qu’il ait préféré jeter l’éponge avant même d’essayer. Espérons que ce thème ait quand même le débat qu’il mérite, dans les prochains mois.