25/04/23
Le constitutionnaliste Jean-Eric Schoettl a démissionné du Conseil des sages après l’annonce de sa réforme par Pap Ndiaye. Il dénonce un torpillage du Conseil par une réforme qui en entrave les moyens d’action.
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Pourquoi tout cela ne serait-il plus possible ?
L’action du CSL sera désormais plus difficile (elle n’a déjà pas été facile jusqu’ici), car elle sera entravée de trois façons :
La première entrave vient de la dilution de son objet. Ajouter la lutte contre les discriminations à la sauvegarde de la laïcité, c’est soit commettre un pléonasme (l’égalité des droits et des devoirs est un corollaire de la laïcité : il est donc dans la nature de celle-ci de s’opposer au racisme et au sexisme), soit, plus sournoisement, briser son ressort universaliste. Comment ? Par l’obsession de la race et du sexe, par la division de la société entre dominants et dominés ; par la dénonciation du racisme et du sexisme systémiques ; par l’exaltation des identités et sensibilités minoritaires ; par le procès en esclavagisme, machisme et destruction de la planète fait à la nation (réduite à la figure du bourgeois blanc, mâle et hétérosexuel) ; par la déconstruction/réécriture de l’Histoire sous prétexte de rendre justice aux groupes opprimés et d’obtenir de la société expiation et réparation.
La deuxième entrave est dans les moyens d’action. Pour agir, le CSL devra désormais demander la permission du ministre ou de son cabinet, ou attendre d’être saisi par les recteurs (conformément aux consignes ministérielles). La confiance que faisait Jean-Michel Blanquer au CSL laissait à celui-ci, au contraire, les coudées franches.
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Alain Policar, pour ne pas le nommer, estime que la politique d’indifférence à la couleur a échoué et qu’il faut désormais mettre en avant les identités raciales parce que la race a des effets discriminants sur les individus. Il dénonce « le fonctionnement intrinsèquement discriminatoire de nos institutions » (autrement dit le « racisme systémique ») et une « République fétichisée, inattentive à la persistance des discriminations ». Inutile de préciser qu’il a critiqué la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021, comme il avait critiqué en 1989 la tribune « Profs, ne capitulons pas ! », publiée en 1989, dans Le Nouvel Observateur, par Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler.
Pour le CSL, dans sa composition antérieure au 14 avril 2023, la laïcité était la condition de l’intégration des populations issues de l’immigration, non un obstacle au « vivre-ensemble ». La laïcité, entendue comme une stricte obligation de neutralité dans la sphère scolaire, est non une « prison », comme le pense Alain Policar, mais une condition de la cohésion sociale, de la transmission des connaissances et de l’émancipation de la personne particulièrement nécessaire à notre temps.
15/04/23
TRIBUNE. Mickaëlle Paty et Jean-Pierre Sakoun, le président d’Unité laïque, s’alarment de la dilution du Conseil des Sages par le ministre de l’Éducation.
Le 11 avril 2023, le ministre de l’Éducation nationale annonçait la nomination de cinq nouveaux membres au Conseil des Sages de la laïcité de l’Éducation nationale et de la jeunesse (CSL). Le même jour, il promulguait au Bulletin officiel du ministère un arrêté modifiant le fonctionnement de ce conseil.
Les laïques et les républicains savent depuis sa nomination que monsieur Pap Ndiaye n’est ni laïque ni universaliste. S’ils avaient des doutes, les déclarations méprisantes sur son propre pays faites alors qu’il était en visite aux États-Unis auraient suffi à les dissiper. Si, espérant encore une prise de conscience de celui qui tient dans ses mains le creuset de la citoyenneté, ils se satisfaisaient du relatif immobilisme de ce ministre, toute illusion est désormais effacée.
(…) Beaucoup auraient souhaité que le CSL manifestât plus fermement sa détermination. Ils acceptèrent en rongeant leur frein que les contraintes de l’énorme machine du ministère infestée de tous les pédagogistes et communautaristes qui l’ont investie depuis quarante ans, l’obligent à une forme de modération patiente. Cette modération, en revanche, n’est pas ce qui caractérise les décisions de monsieur Pap Ndiaye. Il ne sort de sa légendaire prudence que lorsqu’il s’agit de démanteler la république laïque au sein de son propre ministère.
La comparaison des arrêtés de 2021 et de 2023 est édifiante. Nomination de nouveaux membres au conseil, dont M. Policar, connu pour son hostilité à ce qu’il appelle la « laïcité répressive, ou de combat », qui n’est en fait rien d’autre que la laïcité ; modification des statuts du conseil dont, aussi incroyable que cela puisse paraître, l’article premier réduit la place de la laïcité ; réduction de la durée et limitation à deux du nombre des mandats de ses membres, applicable aux membres actuels, ce qui est une manière très efficace de les pousser vers la sortie pour laisser place ensuite aux fossoyeurs de la laïcité ; limitation drastique de l’autonomie du CSL, dont les avis ne pourront désormais être rendus publics que sur décision du ministre et dont les membres, y compris la présidente, ne pourront s’exprimer publiquement en son nom. Qui plus est, le CSL ne pourra désormais agir que sur saisine du ministre. Enfin, petite mesquinerie qui révèle les petites manœuvres, le poste de secrétaire général adjoint occupé actuellement par un défenseur unanimement reconnu de la laïcité et de l’école de la République, devient facultatif. À bon entendeur, salut et silence dans les rangs !
Pap Ndiaye procéderait-il à une dilution du Conseil des Sages de la laïcité ? On note en tout cas une nette inflexion dans la ligne impulsée par Jean-Michel Blanquer… L’actuel ministre de l’Éducation nationale compte, en effet, remodeler l’organisme créé par son prédécesseur, en 2018, et fondé pour « exercer auprès du ministre une mission de conseil, d’expertise et d’étude relative à la mise en œuvre du principe de laïcité et à la promotion des valeurs de la République » à l’école.
Jusqu’alors peu sollicité par Pap Ndiaye, le Conseil des Sages de la laïcité et des valeurs de la République – considéré comme l’outil d’une vision rigoureuse de la laïcité – voit son périmètre étendu à « la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et toutes les formes de haine et de discriminations, l’égalité femme-homme, la promotion du principe de fraternité à l’école », a fait savoir le ministère.
(…) Et pour cause, parmi ces nominations, celles d’Alain Policar, qui avait critiqué dans une tribune en 2019 ceux qui font « de la laïcité une arme contre la religion ». Un choix qui laisse supposer une décision hautement politique à l’égard du conseil. « Par ses positions sur la laïcité, le racialisme et l’antiracisme, il est très conforme à ce que pense Pap Ndiaye, commente un grand spécialiste de la laïcité auprès du Point. On peut tout à fait imaginer qu’il devienne le bras de ce dernier dans le Conseil des Sages. »
Mais les choix de Pap Ndiaye marquent encore une autre rupture. Le bulletin officiel de ce jeudi 13 avril faisant état d’une révision des pouvoirs à la baisse du conseil. Ce dernier n’agira dorénavant que « sur saisine du ministre » et rendra ses avis à ce dernier. « Jusqu’ici le conseil pouvait s’autosaisir et n’a d’ailleurs pas cessé de le faire. Des Sages qui ne peuvent pas agir librement, sont-ils encore Sages ? interroge encore le spécialiste. C’est préoccupant… »