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Introduction

En 2020, l’ECLJ publiait un rapport sur “Les ONG et les Juges de la CEDH”, révélant l’existence d’un problème structurel de conflits d’intérêts au sein de cette Cour. Il démontrait que, entre 2009 et 2019, 18 juges ont jugé à 88 reprises des affaires introduites ou soutenues par sept ONG dont ils ont précédemment été dirigeants ou collaborateurs. Parmi ces ONG, l’Open Society se distingue par le fait que la majorité des juges en cause lui est liée, et qu’elle finance les six autres ONG.

En réponse à ce rapport de 2020, la CEDH et le Conseil de l’Europe ont entrepris de corriger certains aspects du système et de proposer des mesures pour améliorer la sélection, l’indépendance et l’impartialité des juges de la Cour, ainsi que la transparence de l’action des ONG. L’ECLJ se félicite de ces premiers résultats.

Le présent rapport poursuit et approfondit l’analyse entreprise en 2020, et vise à alimenter la réforme de la CEDH. Il constate d’abord que les cas de conflits d’intérêts entre juges et ONG n’ont pas diminué. Au contraire, ils s’élèvent, au moins, à 54 durant les trois dernières années, dont 18 concernent des arrêts de Grande Chambre. Ce rapport montre aussi qu’un problème d’impartialité s’observe également au sein du Greffe de la Cour.

Outre ces cas de conflits d’intérêts, le présent rapport expose ensuite une série de problèmes structurels affectant la Cour en matière d’impartialité, et démontre que celle-ci n’est pas au niveau des exigences d’autres grandes juridictions internationales et nationales. Ainsi, entre autres, la CEDH ne prévoit pas de procédure de récusation, les juges ne publient pas de déclarations d’intérêts, et le traitement des affaires est marqué par l’opacité, ce qui porte atteinte au droit à un procès équitable. Il apparaît aussi que le profil de certains juges n’est pas la hauteur de ce que l’on peut attendre de la juridiction la plus élevée d’Europe.

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C) 54 cas de conflits d’intérêts avec les ONG identifiées entre 2020 et 2022
Parmi les 114 affaires dans lesquelles au moins l’une des six ONG est intervenue visiblement, des juges ont siégé en situation de conflit d’intérêts direct à 54 reprises dans 34 affaires29. Ces juges ont siégé alors que « leur » ancienne ONG défendait les requérants ou intervenait comme tierce-partie. Le conflit d’intérêts était alors dû au lien significatif entre le ou les juges et l’une des parties à l’affaire.
Ainsi, en cas d’intervention d’une des ONG considérées dans la procédure, l’impartialité de la CEDH n’est pas garantie dans 30 % des cas. C’est considérable, mais cela constitue tout de même une amélioration par rapport à la proportion durant la période 2009 – 201930, laquelle était de 48 %. Cette évolution résulte principalement de la fin des mandats de quatre juges liés à certaines des ONG (voir ci-dessous).
Dans la grande majorité de ces 34 affaires entachées de conflits d’intérêts, la Cour a donné raison à la partie qui était soutenue par l’ONG. Autrement dit, la Cour a suivi le positionnement défendu par l’ONG. Les juges concernés par les conflits d’intérêts des trois dernières années sont Grozev (12 cas), Yudkivska (9), Schukking (9), Eicke (6), Kucsko-Stadlmayer (4), Motoc (3), Felici (3), Mits (2), Pavli (2), Pinto de Albuquerque (2), Kūris (1) et Turković (1).
Ces chiffres ne portent que sur les cas de conflits d’intérêts institutionnels, résultant du lien entre un juge et l’une des parties d’une affaire. Parmi ces 34 affaires, 7 concernent des arrêts de Grande Chambre. Comme il a été rappelé précédemment, de tels confits d’intérêts sont contraires au droit à un procès équitable, et seraient certainement condamnés par la CEDH s’ils avaient lieu dans des juridictions nationales. Nous avons observé un autre type de conflits d’intérêts, qui fera l’objet de la fin de cette deuxième partie du rapport.

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Voici quelques exemples :

  • Muhammad et Muhammad c. Roumanie [GC], n° 80982/12, 15 octobre 2020
    Les requérants sont deux Pakistanais impliqués dans des activités terroristes et faisant l’objet d’une procédure d’expulsion. Ils ont été représentés à la Cour par Eugenia Crangariu, avocat du Comité Helsinki roumain, et soutenus par un autre Comité Helsinki et Amnesty International (tierces parties). La Cour n’a pas indiqué dans l’arrêt l’appartenance de l’avocat au Comité Helsinki roumain. Les juges Yudkivska et Pinto de Albuquerque ont siégé, malgré leurs liens avec les Comités Helsinki et Amnesty International (respectivement). La CEDH a donné raison aux requérants pakistanais et a jugé que la Roumanie avait violé leurs droits (article 1 Protocole 7).
  • Mándli et autres c. Hongrie, n° 63164/16, 26 mai 2020
    Les requérants sont journalistes et leur accréditation pour rentrer dans le Parlement hongrois avait été suspendue, après des films et enregistrements illégaux de parlementaires et leur intrusion dans un espace interdit. Ils ont été soutenus par un Comité Helsinki (tierce partie). Le juge Schukking a siégé, malgré son ancien rôle dans un Comité Helsinki. La CEDH a donné raison aux requérants et a jugé à l’unanimité que la Hongrie avait violé leur droit à la liberté d’expression (article 10).
  • Grzęda c. Pologne [GC], n° 43572/18, 15 mars 2022
    Le requérant est un ancien juge polonais révoqué dans le contexte des réformes judiciaires menées en Pologne. Il a été représenté à la Cour par Mikołaj Pietrzak et Małgorzata Mączka-Pacholak, avocats exerçant pour la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme de Varsovie42. Il a été soutenu par cette même Fondation, Amnesty International et la Commission Internationale des Juristes (tierces parties). La Cour n’a pas indiqué dans l’arrêt l’appartenance des avocats à la Fondation Helsinki. Le juge Felici a siégé, malgré son ancien rôle à Amnesty International, de même que le juge Grozev, alors même qu’il a été fondateur d’un Comité Helsinki et membre de celui-ci pendant plus de vingt ans. La CEDH a donné raison au requérant, en estimant que la Pologne avait violé ses droits (article 6 § 1) et que la réforme en cause visait à affaiblir l’indépendance de la justice.

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