05/06/2023
Des journalistes, cherchant la polémique, ont prêté à Renaud Camus la paternité du concept de « décivilisation » repris par Emmanuel Macron, qui entendait donner une cohérence à une succession de faits divers tragiques. Ce mot, en réalité, il ne le doit pas à l’écrivain d’extrême droite : il provient d’un échange avec Jérôme Fourquet, l’auteur de L’Archipel français. Le politologue, au cours d’un récent déjeuner à l’Élysée, s’était appuyé sur les travaux du sociologue Norbert Elias, auteur de Sur le processus de civilisation – un livre sur la régulation des affects en société – pour expliquer les flux et reflux de la civilité en France au cours des dernières décennies. Dans son étude, que Le Point publie en exclusivité, Fourquet décrit une société devenue comme immature, impatiente, et qui sans cesse est sur le point de « péter les plombs ». Fait notable, cette violence se dirige de plus en plus souvent contre les représentants d’une autorité, comme les pompiers, victimes d’agressions au cours de leurs interventions, mais aussi les médecins, les maires, les inspecteurs du permis de conduire ou les arbitres de foot amateur. Une violence physique et verbale qui se vérifie dans le public comme dans le privé, en milieu urbain, périurbain ou rural, et dans différentes sphères sociales.
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Dans ce nouveau modèle de société, le seuil de tolérance à tout ce qui vient entraver le désir ou l’envie a été considérablement abaissé par rapport à ce que décrivait Elias. En matière de consommation, par exemple, les générations de moins de 50 ans, qui ont pleinement baigné dans la société du client-roi, éprouvent une grande frustration quand elles doivent renoncer à un achat ou se rabattre sur une marque ou un produit différent de celui qu’elles souhaitaient, alors que les générations plus anciennes (les plus de 50 ans et plus encore les plus de 65 ans), éduquées dans une France qui n’était pas encore pleinement entrée dans l’ère de la consommation de masse, éprouvent plutôt de la résignation dans pareille situation.
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Un symptôme parmi d’autres de la diminution de l’intériorisation et de l’efficacité des mécanismes d’autocontrôle réside dans la banalisation de ce que le langage courant appelle le « pétage de plombs ». L’image est des plus parlantes puisque, sur une installation électrique, les plombs correspondent aux fusibles qui sautent en cas de surcharge électrique.
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Cette transformation profonde de la psyché collective s’est traduite par un abaissement de la civilité et un accroissement général des tensions dans les interactions quotidiennes entre les individus. Dans le contexte de la réforme des retraites, la Dares a publié en mars 2023 une enquête sur la propension des salariés à supporter leur travail jusqu’à la retraite. Si, de manière assez attendue, les actifs soumis à la pénibilité physique étaient nombreux à déclarer ne pas être capables de tenir jusqu’au bout, cette proportion était encore plus élevée parmi les caissiers et employés de libre-service ou encore les employés des banques et des assurances. Caractéristique commune de ces professions : le fait d’être au contact du public et d’être donc particulièrement exposé à la montée de l’irascibilité.
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24/05/2023
Lors du Conseil des ministres qui s’est tenu ce mercredi matin à l’Élysée, le président de la République a mis en garde face à un délitement de la société dans le contexte des actes de violences de ces dernières semaines, notamment marquées par des menaces contre des élus, a appris BFMTV, confirmant une information du Parisien.
Le chef de l’État a listé plusieurs épisodes dramatiques récents: l’infirmière tuée à l’hôpital de Reims, les policiers morts à Roubaix dans un accident impliquant un conducteur drogué et alcoolisé et l’incendie au domicile du maire de Saint-Brévin, à la suite duquel l’édile a démissionné.
Tout en insistant sur la différence de nature entre ces événements, Emmanuel Macron a appelé ses ministres à “être intraitable face à des violences jamais justifiables dans une société, quelles que soient les causes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation“.
« Le sens de l’histoire des sociétés a toujours été de réduire la part des pulsions pour accroître le respect de l’autre, dans le monde entier, depuis un certain nombre d’années, c’est le mouvement inverse qui semble s’amorcer », rapporte ce participant. « Les tabous tombent un à un, il n’y a plus beaucoup de retenue », se désole un ministre. Un autre renchérit : « Il y a une accoutumance aux propos de plus en plus violents, à une boue de petites phrases et d’accusations en l’air plus ou moins brutales. »