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Devant les sénateurs [de la commission d’enquête parlementaire sur le fonds Marianne], plutôt que de chercher à se défendre, Mohamed Sifaoui a choisi d’attaquer. S’en prenant à un invisible chiffon rouge que personne n’a encore pris la peine d’agiter, il donne des coups de corne, à droite et à gauche. Une première pique adressée au sénateur écologiste du Val-de-Marne Daniel Breuiller, qui, pour résumer l’affaire du fonds Marianne, avait dénoncé « la République des copains ». « Le premier copinage qui devrait être dénoncé est celui qui lie votre courant politique, celui des écologistes, à l’islamisme, et ce dans plusieurs villes de France », décoche Mohamed Sifaoui. Il dénonce ensuite le rapport « pathétique » de l’inspection générale de l’administration « instruit exclusivement à charge, avec des approximations, des insinuations graves et des mensonges ». Puis, emporté par son élan, il poursuit son réquisitoire contre « des systèmes médiatiques sclérosés globalement médiocres qui alimentent le populisme ». Convaincu de son innocence, il se dit ligoté à un bûcher médiatique. Il se vit comme une victime expiatoire condamnée, à l’avance, pour son combat contre l’islamisme politique. (…) Quatre semaines plus tard, la commission d’enquête sénatoriale rend ses conclusions. Elles sont impitoyables. Les sénateurs estiment que l’association méconnue dont s’est servi Mohamed Sifaoui, l’USEPPM, qui a reçu 266 250 euros de subventions dans le cadre du fonds Marianne, « n’avait pas d’expérience notable dans la lutte contre le séparatisme ». Plus grave, alors que le journaliste a été payé 3 500 euros net par mois pendant un an, de juin 2021 à juin 2022, grâce à ce fonds, ils jugent le travail fourni « très largement en deçà de ce qui aurait pu être attendu » et soulignent « un bilan insignifiant au regard de la subvention » perçue.
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Peu après la victoire dans les urnes du Front islamique du salut, en décembre 1991, les généraux algériens ont interrompu le processus électoral. A Vincent Brossel et Matthieu Chanut, Mohamed Sifaoui parle souvent de ce chaos algérien et de ce pouvoir de l’ombre des militaires. En février 1996, Le Soir d’Algérie, pour qui Mohamed Sifaoui travaillait, est visé par une attaque à la voiture piégée. Trois membres du journal meurent. Mohamed Sifaoui, lui, n’était pas dans les locaux. Il ne quittera son pays que trois ans plus tard. Certains de ses articles auraient déplu au régime, assure-t-il. « Il disait qu’il avait révélé des choses, se remémore Vincent Brossel. Mais je n’ai jamais su ce qui lui avait valu le désamour des autorités. » Une chose saute néanmoins aux yeux des deux colocataires, le journaliste trentenaire a « une énorme envie de revanche ». Un Rubempré algérois animé par une insatiable soif de reconnaissance.
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En ce printemps 2000, il vient de faire une rencontre. De celles qui peuvent marquer une vie et lancer une carrière. L’homme qu’il vient de croiser dans les locaux de RSF est un ancien sous-lieutenant algérien. Habib Souaïdia, le visage émacié, a déjà une vie de souffrances derrière lui. Né en 1969 à l’est du pays, il s’est engagé dans l’armée à 20 ans. Il a traqué les « barbus » dans les montagnes, en a même tué. Sans prendre le parti des islamistes, il veut dénoncer les « atrocités », les exactions et les manipulations des militaires qu’il a vues. Mohamed Sifaoui se propose de l’aider à écrire. (…) A propos des généraux algériens « archi-milliardaires », Mohamed Sifaoui glisse à Habib Souaïdia qu’ils sont « les premiers bénéficiaires » de la guerre et du terrorisme dont ils « sont directement ou indirectement responsables ». Et le journaliste algérien de résumer : « Je ne veux pas le justifier, mais le terrorisme en Algérie, il a une cause : c’est le comportement des responsables au sein de l’armée qui ont volé tout le pays. » Lorsque, le 8 février 2001, sort le livre La Sale Guerre, c’est une déflagration. Le Monde en fait sa « une » le jour même. C’est une victoire pour Habib Souaïdia… Et un camouflet pour Mohamed Sifaoui. Car, une semaine avant sa sortie, le journaliste a tenté de s’opposer à sa publication. En vain. Autrefois alliés, Habib Souaïdia et Mohamed Sifaoui se sont déchirés au cours de l’élaboration du texte. (…) Plus de vingt ans après, le discret Habib Souaïdia, qui tient aujourd’hui un magasin de vêtements chics à Paris, est convaincu que le journaliste a été « retourné » par les services algériens. L’ex-spécialiste de l’Algérie à Libération, José Garçon, a longtemps soupesé cette hypothèse, avant de se faire sa propre idée : « Pour moi, cette histoire est d’abord la démonstration que c’est avant tout un effroyable opportuniste. »
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L’islamisme n’a jamais autant tué en France, Mohamed Sifaoui veut plus que jamais faire feu de tout bois. Il mobilise ses amis, active ses réseaux. Au printemps 2015, il annonce créer l’association Onze janvier, pour lutter contre les fanatismes religieux et l’extrême droite. En mai, une assemblée générale à Paris réunit une cinquantaine de membres fondateurs, dont les essayistes Raphaël Glucksmann et Fiammetta Venner – par ailleurs compagne de Caroline Fourest –, le journaliste et fondateur du site Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, ou encore le directeur général de l’Association française des victimes de terrorisme (AFVT), Guillaume Denoix de Saint Marc. Les statuts sont déposés en préfecture le 6 juin ; l’adhésion est fixée à 50 euros. « Si des gens qui ont des moyens ne sont pas capables de mettre 50 euros sur la table, explique Mohamed Sifaoui lors d’un séminaire organisé en juin 2015 par La Règle du jeu, la revue de Bernard-Henri Lévy, ils n’ont rien à faire dans un combat qui doit les opposer à des gens qui mettent souvent leur vie sur la table. » Il promet des embauches, mais l’ambitieux projet fait long feu. Guillaume Denoix de Saint Marc résume aujourd’hui : « Il y a eu des prémisses, mais ça a fait pschitt. » Aucun des interlocuteurs sollicités par M n’a été en mesure de dire combien d’argent avait été récolté par l’association Onze janvier. Encore moins à quoi il a pu servir.
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L’argent, tout autant que les idées, voilà peut-être l’un des fils rouges de Mohamed Sifaoui. Il a donné l’impression de courir après toute sa vie. A RSF, il y a vingt ans, ils sont plusieurs à lui avoir prêté quelques centaines d’euros, sans en revoir la couleur. Depuis, les anecdotes de généreux déçus se sont accumulées. Un jour, au tournant des années 2010, c’est un dirigeant associatif qui envoie plusieurs fois son RIB, dans l’espoir de récupérer les 1 850 euros prêtés, en vain. Une autre fois, c’est une avocate parisienne qui fait un scandale en demandant son dû. « Je ne veux pas accabler Mohamed. Mais je connais plusieurs amis communs et il nous a tous tapé un peu de pognon », résume un autre avocat qui lui a prêté « des milliers » d’euros. Sans rancune : « Pour les gens à qui il s’est adressé, l’argent n’est pas un sujet majeur. » Devant les sénateurs, le 15 juin, Mohamed Sifaoui ne s’est pas étendu sur les questions pécuniaires. Il a souligné qu’il n’est « pas un rentier ». Avant d’ajouter : « Je suis un père de famille avec des enfants à élever, il me faut gagner ma vie (…) mais pas pour un enrichissement personnel. Cela n’a jamais été ma quête d’existence. » Les sénateurs, dans leur rapport, se sont tout de même « étonnés » de son niveau de rémunération. Et l’inspection générale de l’administration, elle, a demandé le remboursement de près de la moitié de la subvention perçue.