Quelles sont les désillusions que traversent une anthropologue sur son terrain d’étude ? Quelles sont les coulisses d’un terrain d’anthropologue, la magie de la rencontre avec l’altérité et l’ailleurs est-elle toujours au rendez-vous ?
Anne Sylvie Malbrancke est aujourd’hui conseillère scientifique pour la série Rituels du Monde sur Arte. Dans son livre « Les désillusion de l’Ailleurs » elle raconte son passé de jeune anthropologue, elle écrit “L’Ailleurs me déçoit et je me déçois dans l’Ailleurs”. Elle fait le récit de deux terrains d’étude qu’elle a vécus en Papouasie alors qu’elle était thésarde, des terrains qui lui ont fait traverser différentes expériences, et qui l’ont amené à questionner sur son rapport à ce qu’elle appelle « l’Ailleurs ». Elle a étudié la parenté chez les Baruya et la sorcellerie chez les Gebusi, lui permettant de comprendre « leurs évolutions dans la « modernité ».
Au fil de son récit, l’anthropologue raconte les doutes qu’elle traverse à la fois sur sa méthodologie d’anthropologue et sur ses facultés d’adaptation, face à cet Ailleurs et cette altérité, et montre également la structure des sociétés qu’elles a étudiées.
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L’arrivée sur place
Anne Sylvie Malbrancke : « Les personnes ont été un tout petit peu surpris de me voir arriver avec quelqu’un. J’avais cette idée préconçue que j’allais arriver qu’il y ait des embrassades, des sourires, tout d’un tas de choses. Mais les gens ne nous attendent pas ! Tout le monde est armé de machettes et a une sorte de mine un peu douteuse. Mais heureusement une des membres du village a réussi à expliquer en langue locale, assez rapidement qui on était et ce qu’on faisait là. Une maison construite pour Pierre Lemonnier deux ans avant nous attendait. »
La différence culturelle plus rude qu’attendue
Pour Anne Sylvie Malbrancke : « L’échec, ça a été d’accepter cette grande différence. Je l’avais prévue dans ma tête. Je voulais le décentrement (le fait de ne pas juger), mais je me suis rendu compte que je l’attendais dans des cadres déjà préétablis. Je ne m’attendais pas à ce que les gens me parlent rudement. Or, c’est comme ça qu’on se parle chez eux. C’est une tribu de guerriers. Si on peut dire ‘bonjour’, on dit rarement ‘merci’, on donne des ordres, on est assez rudes. Avec toute ma sensibilité occidentale, je le vivais mal. Au lieu de l’oublier, et d’accepter la façon dont les gens se parlent, je me suis un peu braquée. »
Un rapport à la nature surprenant
Anne Sylvie Malbrancke : « Par exemple, le chamane n’avait pas des connaissances de l’usage des plantes très développées. J’ai vu la population empoisonner une rivière comme technique de pêche, les gens détruisaient beaucoup les choses, faisaient du feu un peu partout. Ça m’a semblé un peu chaotique et peut-être, j’avais cette idée fantasmée d’une harmonie avec la nature. Une fois, j’ai demandé s’il allait pleuvoir ou pas, et on m’a répondu : “Mais on n’est pas devant nous, on ne sait pas”. Donc à l’autre bout du monde, on ne vit pas forcément en harmonie avec la nature. La théorie selon laquelle les peuples premiers ont des choses à nous apprendre sur comment ne plus dominer la nature, n’est pas forcément vraie, mais je ne dis pas non plus qu’ils n’ont jamais rien à nous apprendre. Mon témoignage est extrêmement limité et n’est pas généralisable. »
Aider les femmes
« Auprès des femmes, j’intervenais en donnant des médicaments parce que je ne pouvais pas ne pas intervenir. Mais cela avait été vu de manière un peu négative, même si c’était pour soulager une femme battue. Mais je ne pouvais leur servir un discours occidental. ».
Une explication au changement climatique
Anne Sylvie Malbrancke : « J’avais trouvé intéressant, la façon dont ils m’expliquaient le changement climatique. Ils m’ont expliqué que c’était à cause des femmes qui aujourd’hui contrôlent tout et ont détraqué le climat ! Même si je suis anthropologue, j’ai éclaté de rire d’abord et j’ai noté. »
“Le spectacle, c’est nous”
Certains détracteurs de la discipline anthropologique lui reprochent d’aller enquêter comme on va au spectacle. Anne Sylvie Malbrancke : « Je répondrai que c’est nous le spectacle. Quand on arrive, on est un sujet de divertissement extraordinaire. Il faut bien se dire que dans cette vallée, tout le monde se connaît. On fait à peu près les mêmes choses tous les jours. Et là, tout à coup, il y a des Blancs qui débarquent, qui ont des cadeaux, qui s’intéressent à vous, qui prennent des photos ou des vidéos… Au point que je me suis parfois sentie un peu heurté par les regards qui nous suivent partout jusqu’aux toilettes. Il y a zéro intimité parce qu’on est tellement intéressant, on est tellement différent. Je suis sentie plutôt comme une bête au zoo. Bien sûr, je vais chez des gens parce que leur vie m’intéresse, que je veux écouter leurs histoires, que je veux pouvoir l’écrire et la traduire dans ma langue. Et ensuite, la voilà la diffuser. Est-ce que ça veut dire aller au spectacle ? Je ne sais pas. »
La suite est à écouter…
Anne-Sylvie Malbrancke , normalienne, docteur en anthropologie sociale, et conseillère scientifique et présentatrice de la série Rituels du Monde sur Arte. Autrice de « Les désillusions de l’Ailleurs » chez PUF Editions