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A Keur Gol, quartier miséreux de Touba, la ville sainte de la confrérie musulmane des mourides, la parole se libère : un religieux est accusé de plusieurs dizaines de viols.

(…) Réunies dans la cour du chef de quartier qui organise les interviews en cette fin de matinée de juin, « les trente-six filles de Touba », ainsi que la presse les a surnommées, font bloc comme un seul corps. Sous leurs voiles colorés, elles se taquinent distraitement, sans se départir d’une certaine mélancolie. En mars, vingt-huit d’entre elles ont déposé plainte pour viols contre leur maître coranique, Serigne Khadim Mbacké, 34 ans. Un homme jusque-là auréolé du prestige de son patronyme qui, au Sénégal, renvoie à la puissante famille Mbacké, apôtre du mouridisme, l’une des confréries religieuses les plus influentes du pays. Le 5 juin, à l’issue d’une cavale de plusieurs semaines, il a été placé sous mandat de dépôt, malgré son nom.

(…) « La première fois, j’étais venue sur ordre de ma mère pour qu’il plastifie le livre de religion de ma petite sœur qu’elle avait déchiré. Une fois dans sa chambre, il s’est jeté sur moi. J’ai hurlé, alors il m’a laissée partir en me disant que si je parlais, il me tuerait », témoigne l’adolescente, en se triturant les mains.

Le viol, un crime depuis 2020 au Sénégal

« La fois suivante, j’ai accompagné ma petite sœur à sa récitation. Il m’a demandé de le suivre dans la chambre. Là, il m’a fait boire une potion qu’il gardait dans un seau. Ma tête a commencé à tourner. Je me suis assise sur le lit. Il m’a violée. » Pendant quatre jours, Aïda souffre de vertiges et de douleurs aux hanches. Face aux médecins de l’hôpital, où l’a portée sa grand-mère, elle garde le silence. Un deuxième viol aurait été commis lors d’une veillée de prière, toujours dans la même pièce. Aïda finit par se confier à sa meilleure amie, Yacine, qui lui avouera subir, elle aussi, les assauts du maître.

(…) « Serigne Khadim Mbacké est arrivé en 2018 comme un missionnaire pour nous apprendre le Coran, la religion. Il présentait bien avec ses beaux boubous. On le consultait pour régler des litiges et on lui envoyait nos enfants quand ils étaient malades. Il les retenait parfois tard en cours, mais on avait totalement confiance en lui », témoigne Adama Pouye, encore abasourdi.

D’après les dépositions des enfants, le marabout opérait un tri entre ses victimes. « Chaque matin, il demandait à une élève – les garçons n’étaient pas choisis – de le suivre dans la pièce attenante à la salle de cours pour réciter des versets. Il leur faisait boire un breuvage, puis les agressait. A celles âgées de 10 ans, il imposait fellations et attouchements. Les plus âgées subissaient des viols avec pénétration. A toutes, il prétendait avoir le pouvoir mystique de savoir si elles le dénonçaient grâce à ses visions », détaille un enquêteur de la brigade de recherche de Touba.

(…) Pour les ONG, le cas de Keur Gol doit être l’occasion de relancer le débat sur les maltraitances au sein des écoles coraniques et des milieux religieux. Touba serait l’une des villes les plus touchées par les violences à l’égard des jeunes écoliers. « Les viols d’enfants par des maîtres coraniques sont récurrents à Touba. Ces cinq dernières années, cinq enseignants ont été poursuivis pour des faits similaires. Il y a dix ans, un homme a été condamné pour le viol d’une vingtaine d’enfants. Il y a urgence à auditer les daaras[écoles coraniques], car elles échappent au contrôle de l’Etat », explique un enquêteur.

(…) Le Monde

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