Thomas Sauvadet, sociologue spécialiste des bandes de jeunes, enseignant à l’université Paris Est Créteil, qui vient de publier Voyoucratie et travail social. Enquêtes dans les quartiers de la politique de la ville aux éditions du Croquant, a livré à publicsenat.fr une analyse du profil de ces jeunes.
[…]Est-ce que les violences urbaines de juin-juillet dernier relèvent d’une dynamique de bande ?
Le contexte d’apparition de ces violences apparaît très lié aux bandes de jeunes. Nahel était originaire de la cité Pablo Picasso à Nanterre. Dans les endroits comme celui-ci, les QPV, 12% des jeunes de moins de 30 ans font partie de bandes, ce qui fait environ 100 à 200 individus. Les événements de juin-juillet dernier ressemblent d’abord à une réaction de bandes de jeunes qui s’est ensuite étendue à d’autres quartiers, pour ensuite atteindre des centres commerciaux, et arriver jusqu’à l’attaque du domicile d’un élu. Ce phénomène a eu des répercutions spectaculaires qu’on n’avait pas vu avant.
Il est important de noter qu’autour des bandes gravitent des jeunes qui n’en font pas partie, mais qui en côtoient des membres. Ils les fascinent, alors ils les imitent (style vestimentaire, codes argotiques, trafic de cannabis, pratiques artistiques, …). Toute une jeunesse est sous influence de cette minorité active et qui participe à des phénomènes très médiatiques. Certains sont embarqués dans cette « aventure ». Ils ne sont pas complètement ni dedans ni dehors. On peut les retrouver dans des zones pavillonnaires, ils rencontrent des difficultés familiales, mais bien moins importantes. Ils sont influencés, par un copain, un grand frère, leur rébellion de crise d’adolescence, une situation familiale compliquée, des parents qui ne sont pas très présents, …
Qui sont les jeunes qui constituent ces bandes ?
Ces jeunes font partie des classes populaires les plus en difficulté. Pour simplifier, ils viennent souvent de familles primo arrivantes, pauvres, nombreuses, où les parents ont une mauvaise maitrise de la langue française, avec des situations sociales très dures. Dans ces familles-là, les fils passent leur temps dehors dès cinq-six ans.
Le contexte familial joue un rôle dans la participation aux phénomènes de bandes, et plus particulièrement de violences urbaines. Mais le rapport de l’IGA et de l’IGJ relève le rôle de l’inactivité. Est-ce également un facteur crédible et déterminant ?
La situation familiale joue en effet un rôle majeur, mais la participation à ces phénomènes est une conjugaison de plusieurs facteurs, pour un cocktail explosif. Ainsi, à la situation personnelle se rajoute le sujet de la carrière scolaire et professionnelle. Le cœur de la question, c’est l’emploi et l’accès au marché légal du travail. Les individus effectuent un arbitrage entre la participation au marché légal ou illégal du travail. Il y a de l’espoir et du désespoir qui s’alimentent des deux côtés. Pour certains le marché illégal du travail est tragique : ils sont physiquement agressés, endettés, soumis à un autoritarisme contre lequel ils ne peuvent rien, …
Mais il y a une comparaison en termes de pénibilité qui s’effectue. Car si l’école amène à un marché légal du travail, et permet d’atteindre une bonne situation professionnelle, avec une possibilité d’évolution, un savoir-faire, ce n’est pas systématique. C’est là que le secteur privé est important, c’est le grand absent des débats : le marché légal du travail passe majoritairement par lui. Or, aujourd’hui dans ces quartiers, la qualité, la sécurité et la rémunération des emplois qu’il propose laisse à désirer. L’exemple parfait, ce sont les Uber jobs. Ils permettent de faire baisser les chiffres du chômage, mais ils ne permettent pas d’en vivre. Cela donne des jeunes qui sont à la fois dans les trafics et le marché légal du travail.
Y a-t-il une différence dans le profil des jeunes et dans le modus operandi par rapport à 2005 ?
Ce qui est frappant dans les événements de juin-juillet dernier, par rapport à celui de 2005, c’est que ce phénomène initié par les jeunes des quartiers de la politique de la ville a pris une influence sociale beaucoup plus importante. Cela est évocateur du fait que dans toute la société, les codes de ces jeunes sont imités. Ce qu’ils développent aujourd’hui a une influence beaucoup plus large que ce qui existait en 2005. Aujourd’hui, même dans les beaux quartiers de l’Ouest parisien ou dans des petits villages, des adolescents imitent le style des bandes de jeunes des quartiers de la politique de la ville. Tout ce qu’ils font aujourd’hui résonne beaucoup plus qu’il y a vingt ou trente ans. Ils sont montés en force, via la question du chômage, de la précarité, de l’enrichissement, du mythe du lascar parti de rien qui a risqué et réussi, véhiculé par la mythologie libérale de nos sociétés.
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