25/09/23
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H… Brossier a demandé au tribunal administratif de Montreuil d’annuler la délibération n° 190411 du 11 avril 2019 par laquelle le conseil municipal de Bagnolet a approuvé la résiliation d’un bail emphytéotique relatif à un terrain communal conclu le 21 juillet 2005 avec l’association de bienfaisance et de fraternité de Bagnolet et autorisé la cession de ce terrain à cette association au prix de 950 000 euros hors taxes.
Par un jugement n° 1907452 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette délibération.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 1er juin et 4 août 2022, la commune de Bagnolet, représentée par Me Rivoire, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme Brossier devant le tribunal administratif de Montreuil ;
3°) de mettre à la charge de Mme Brossier la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement est insuffisamment motivé, tant en ce qui concerne la régularité de la procédure d’adoption de la délibération que la méconnaissance de la loi du 9 décembre 1905 ;
– la délibération contestée ne méconnaît pas les dispositions combinées des articles L. 2121-12 et L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales, le projet de délibération, le rapport y afférent valant notice explicative, le bail emphytéotique et l’avis du service des domaines, transmis aux conseillers municipaux, étant suffisants pour permettre aux membres du conseil municipal de se prononcer en connaissance de cause sur la cession, notamment en ce qui concerne ses conditions financières et l’identité de l’association preneuse, sans qu’il ait été besoin d’en communiquer les statuts ;
– la délibération contestée ne méconnaît pas les articles 2 et 19 de la loi de 1905, dès lors qu’aucune aide à un culte n’a été accordée ;
Elle se réfère, pour le surplus des moyens soulevés devant le tribunal administratif de Montreuil par Mme Brossier, à ses écritures présentées en première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2023, Mme Brossier, représentée par la SCP Lyon-Caen-Thiriez, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la commune. Elle soutient que les facilités de paiement consenties par la délibération contestée n’entrent pas dans le champ d’application des dispositions dérogatoires aux articles 2 et 19 de la loi du 9 décembre 1905, instituées par l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales tel qu’interprété par le Conseil d’Etat.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 10 juillet 2023, la commune de Bagnolet reprend les conclusions et les moyens de sa requête et soutient, en outre, que les dispositions des articles 2 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 ne sont pas applicables à la délibération par laquelle une collectivité territoriale résilie avant terme un bail emphytéotique conclu en application des dispositions des articles L. 1311-2 et L. 1311-3 du code général des collectivités territoriales et procède à la cession du terrain concerné à l’association cultuelle preneuse à bail.
[…]Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme d’Argenlieu,
– les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
– et les observations de Me Santangelo, représentant la commune de Bagnolet, et de Me Thiriez, représentant Mme Brossier.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Bagnolet a conclu le 21 juillet 2005 avec l’association de bienfaisance et de fraternité de Bagnolet (ABFB) un bail emphytéotique, complété par un acte du 29 mai 2006, en vue de l’édification d’une mosquée sur un terrain communal, situé 57-61, rue Hoche et cadastré R 299 et R 304. Ce bail, consenti pour une durée de soixante-trois ans, avait pour objet de conférer des droits réels sur le terrain à l’association, qui s’engageait à construire l’édifice cultuel, moyennant, en contrepartie, le versement à la commune d’un loyer d’un euro annuel et, à l’issue du bail, le transfert de propriété à la collectivité de l’intégralité des constructions réalisées. Par une délibération du 11 avril 2019, le conseil municipal de Bagnolet a, d’une part, approuvé la résiliation de ce bail et, d’autre part, autorisé la cession du bien à l’association au prix de 950 000 euros hors taxes, dont 700 000 euros versés à la signature de l’acte de vente et 250 000 euros versés en quarante-huit mensualités sans intérêt de 5 208,33 euros. Par une lettre du 26 avril 2019, Mme Brossier, conseillère municipale d’opposition, a demandé au préfet de la Seine-Saint-Denis de déférer au tribunal administratif de Montreuil cette délibération. Le préfet de la Seine-Saint-Denis n’ayant pas répondu à cette demande, Mme Brossier a saisi le tribunal administratif de Montreuil. La commune de Bagnolet relève appel du jugement par lequel ce tribunal a annulé la délibération.
[…]Sur la légalité de la délibération critiquée :
4. En premier lieu, aux termes de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : ” Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. (…) Le délai de convocation est fixé à cinq jours francs. (…) “. Aux termes de l’article L. 2121-13 du même code : ” Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération “.
5. Par ailleurs, aux termes de l’article 18 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : ” Les associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants du titre Ier de la loi du 1er juillet 1901. Elles seront, en outre, soumises aux prescriptions de la présente loi “. L’article 19 de cette même loi, dans sa rédaction alors en vigueur, précise que : ” Ces associations devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte et être composées au moins : Dans les communes de moins de 1.000 habitants, de sept personnes ; Dans les communes de 1.000 à 20.000 habitants, de quinze personnes ; Dans les communes dont le nombre des habitants est supérieur à 20.000, de vingt-cinq personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse. Chacun de leurs membres pourra s’en retirer en tout temps, après payement des cotisations échues et de celles de l’année courante, nonobstant toute clause contraire (…). Les associations pourront recevoir, en outre, des cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices. Les associations cultuelles pourront recevoir, dans les conditions prévues par les trois derniers alinéas de l’article 910 du code civil, les libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles (…) “.
6. D’une part, il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 4 que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d’une note explicative de synthèse portant sur chacun des points à l’ordre du jour. Le défaut d’envoi de cette note ou son insuffisance entache d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n’impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l’article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises. D’autre part, en application des dispositions de cet article, le maire est tenu de communiquer aux membres du conseil municipal les documents nécessaires pour qu’ils puissent se prononcer utilement sur les affaires de la commune soumises à leur délibération.
7. Il ressort des pièces du dossier que, par un courriel du 28 mars 2019 complété le 3 avril suivant, les services généraux de la commune ont transmis aux conseillers municipaux, dans la perspective de la séance du conseil municipal du 11 avril 2019, le projet de délibération relatif à l’opération en litige, et le rapport de présentation correspondant valant note explicative de synthèse au sens du premier alinéa précité de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales. Le 10 avril 2019, Mme Brossier a sollicité la communication du bail emphytéotique conclu entre la commune de Bagnolet et l’ABFB, ainsi que des statuts de l’association. Si le bail a été adressé aux membres de l’assemblée délibérante, en revanche, le maire n’a pas fait droit à la demande de communication des statuts de l’ABFB. Or les documents communiqués aux conseillers municipaux se bornaient, s’agissant de l’association, à mentionner son nom, sa qualité d’association cultuelle et le nom de son responsable, représentant à l’acte de cession, en indiquant, en ce qui concerne ses ressources, qu’un document détaillant les modalités de financement de l’acquisition par l’ABFB et retraçant notamment l’origine des fonds mobilisés à cet effet serait annexé au contrat de cession. Eu égard à l’objet de la délibération, qui consistait également à consentir à l’association un prêt sans intérêt de 250 000 euros sur quatre ans, les précisions contenues dans les documents transmis ne permettaient pas d’informer suffisamment les conseillers municipaux sur ces éléments essentiels au regard de la nature de l’opération que sont, d’une part, l’objet et les conditions du fonctionnement de l’association et, d’autre part, la nature de ses ressources. Il était donc nécessaire de faire droit à la demande de Mme Brossier en communiquant les statuts de l’association à l’assemblée délibérante, lesquels auraient permis, au moins en partie, de pallier ces insuffisances. Par suite, la commune de Bagnolet, en n’y procédant pas, a méconnu les dispositions de l’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales, privant ainsi les conseillers municipaux d’une garantie.
8. En second lieu, aux termes de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : ” La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public “. L’article 2 de cette loi dispose : ” La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. (…) “. L’article 13 de la même loi précise : ” Les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II. La cessation de cette jouissance et, s’il y a lieu, son transfert seront prononcés par arrêté préfectoral (…). L’Etat, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi “. Enfin, aux termes du dernier alinéa de l’article 19 de cette même loi, dans sa rédaction alors en vigueur, les associations cultuelles, formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice d’un culte, ” ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques “.
9. Par ailleurs, l’article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que : ” Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. / Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction “. Aux termes de l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales : ” Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique prévu à l’article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public. Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif. (…) “. L’article L. 1311-3 du même code précise les conditions particulières auxquelles satisfont les baux passés en application de ces dispositions.
10. Il résulte des dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 que les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des églises et de l’Etat ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels et qu’il leur est interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte. Les collectivités publiques ne peuvent donc, aux termes de ces dispositions, apporter aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels.
11. Toutefois l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales a ouvert à ces dernières la faculté, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, d’autoriser un organisme qui entend construire un édifice du culte ouvert au public à occuper pour une longue durée une dépendance de leur domaine privé ou de leur domaine public, dans le cadre d’un bail emphytéotique, dénommé bail emphytéotique administratif et soumis aux conditions particulières posées par l’article L. 1311-3 du code général des collectivités territoriales. Le législateur a ainsi permis aux collectivités territoriales de conclure un tel contrat en vue de la construction d’un nouvel édifice cultuel avec pour contreparties, d’une part, le versement, par l’emphytéote, d’une redevance qui, eu égard à la nature du contrat et au fait que son titulaire n’exerce aucune activité à but lucratif, ne dépasse pas, en principe, un montant modique, d’autre part, l’incorporation dans leur patrimoine, à l’expiration du bail, de l’édifice construit, dont elles n’auront pas supporté les charges de conception, de construction, d’entretien ou de conservation. Ce faisant, il a dérogé aux dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905.
12. Si la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée d’un tel bail, les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales ne peuvent être regardées comme ayant entendu exclure son application en ce qui concerne les conditions financières dans lesquelles le bien objet de ce contrat est cédé. L’application de la loi du 9 décembre 1905 implique que cette cession soit effectuée dans des conditions qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à un culte.
13. En l’espèce, le prix de cession du terrain d’assiette et la valeur de la renonciation de la commune au droit de devenir propriétaire de l’édifice cultuel en fin de bail ont été fixés par la commune de Bagnolet à la somme totale de 950 000 euros hors taxes, soit un montant identique à celui proposé par les services des domaines. Or la commune n’établit ni même ne soutient qu’elle aurait pris en compte dans son estimation l’avantage, pourtant indissociable du prix, consistant en un paiement échelonné sans intérêt de plus d’un quart du montant total de la somme due, selon quarante-huit mensualités. Ainsi, la commune doit être regardée comme ayant consenti un avantage, sans contrepartie, ayant pour effet de minorer le prix de cession du bien en deçà de sa valeur réelle et, par suite, comme ayant versé à l’association une subvention proscrite par les dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Bagnolet n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la délibération du 11 avril 2019 contestée. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à sa charge une somme de 1 000 euros à verser à Mme Brossier sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Bagnolet est rejetée.
Article 2 : La commune de Bagnolet versera une somme de 1 000 euros à Mme Brossier sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bagnolet et à Mme H… Brossier.
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l’audience du 11 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
– Mme Fombeur, présidente de la Cour,
– M. G…, premier vice-président,
– Mme B…, Mme D…, M. A…, Mme F…, M. C…, M. E…, Mme Menasseyre, présidents de chambre,
– Mme Briançon, présidente assesseure,
– Mme d’Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 septembre 2023.
Légifrance – CAA de PARIS, Formation plénière, 22/09/2023, 22PA02509
08/07/22
La ville de Bagnolet (93) épinglée par la justice pour avoir dérogé à la loi de 1905 lors de la vente du terrain où s’est construit la mosquée
Le tribunal administratif de Montreuil a annulé une délibération votée en 2019 en conseil municipal sur la vente du terrain de la mosquée de la ville de Seine-Saint-Denis. Les magistrats ont notamment estimé que la mairie n’avait pas respecté la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. La municipalité a fait appel de la décision.
Le bail courrait jusqu’en 2068. La mairie de Bagnolet estimait pourtant qu’il y avait urgence à vendre le terrain sur lequel a été construite la mosquée, rue Hoche, sur une parcelle municipale de 1 023 m² située en surplomb du périphérique. L’édifice religieux, attendu depuis des années par les fidèles musulmans, avait ouvert en 2013 après plusieurs années de travaux.