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Il est une autre indifférence qui frappe dans les discours du pape : celle qu’il manifeste à la mise en danger des identités des peuples qu’il presse à l’accueil des migrants. « L’Europe a besoin de main-d’œuvre », a-t-il plaidé, comme si l’intégration n’était qu’une question économique. Un peu plus tôt, il évoquait les « villages vides » qui devraient « faire un effort » pour intégrer des migrants. Nous sommes là au cœur de cette vision désincarnée de l’humanité qui, au nom d’une lecture mondialiste et hors-sol de la fraternité universelle, voit les hommes comme des entités interchangeables, qu’on pourrait transférer d’un pays à l’autre sans aucune conséquence, comme on transvaserait de l’eau d’un récipient à un autre.
Dans son obsession à ouvrir les frontières de l’Europe, François ne veut pas voir que les civilisations sont des constructions patientes, précieuses et fragiles, fruits de siècles d’expériences vécues en commun, de sacrifices offerts, d’idéaux et de foi partagés. Il veut ignorer que, comme Mathieu Bock-Côté l’écrivait il y a peu dans ces colonnes, « un pays qui change de population change d’identité ». Il ne voit pas qu’une immigration incontrôlée, qui dépasse déjà largement les capacités d’intégration des pays européens, soumet nos modes de vie, nos cultures, notre rapport à la vie et aux femmes, à une pression si forte qu’elle donne à beaucoup d’Européens le sentiment d’être dépossédés de leur propre pays, de devenir des exilés de l’intérieur.
L’auteur de Laudato si’, si attaché pourtant à la défense de la biodiversité qu’il a encore défendue à Marseille, ne voit pas que la société « multiethnique et multiculturelle » qu’il promeut met en péril la biodiversité culturelle et prive les peuples d’Europe de leur droit à la continuité historique, et prive ainsi le monde de la note unique que chaque culture est à même de faire entendre, en fonction de la vocation spirituelle qui lui est propre. Il est aveugle, surtout, à la menace que cette mutation fait peser sur le christianisme lui-même : non seulement en faisant de son berceau historique, l’Europe, une zone où il menace de devenir minoritaire par rapport à l’islam ; mais aussi en accentuant le divorce entre les peuples européens et une Église qu’ils ont, des siècles durant, considéré comme leur âme même, et qu’ils tendent à voir aujourd’hui comme le complice de leur disparition programmée.
22/09/2023
L’évolution du pape François sur l’immigration
Depuis le début du pontificat, le pape soutient les migrants comme l’une de ses priorités, encourageant un accueil sans condition. Une position que, depuis peu, il corrige face aux tensions européennes. La passion du pape François pour la question des migrations vient de très loin. Ses grands-parents italiens avaient dû quitter le pays pour chercher du travail en Argentine. (…) La trace intime de ce passé d’immigrés européens en Amérique latine habitera toujours le père Bergoglio, puis l’évêque. (…) D’une certaine manière, François restera comme le pape de l’immigration. (…) Mais ces dix années de pontificat ont été marquées par trois évolutions notables sur ce dossier. Il y a d’abord eu la phase de l’accueil sans condition de tous les migrants, avec le devoir des pays riches d’ouvrir leurs frontières pour leur donner un statut, des papiers, un toit, un travail, une éducation.
Inflexion de son discours
C’est ainsi que le premier voyage de son pontificat a été sur l’île de Lampedusa, en juillet 2013, où il s’était insurgé contre «la mondialisation de l’indifférence» vis-à-vis des migrants qui mourraient en Méditerranée. Il y a eu aussi ses deux voyages sur l’île de Lesbos en Grèce, en 2016 et en 2021, tristement connue pour ses camps de réfugiés. En 2016, François était même rentré de Lesbos avec plusieurs musulmanes dans son avion. (…)
Puis, en octobre 2016, un point de bascule s’opère avec son voyage en Suède. Convaincu de visiter un pays qu’il louait comme un modèle d’intégration des migrants en Europe, il rencontre des autorités totalement dépassées et désenchantées par les vagues migratoires et les problèmes sociaux. Cela semble avoir provoqué chez lui un début de prise de conscience, conduisant depuis peu à une inflexion de son discours sur le sujet. S’il ne désarme pas sur l’accueil inconditionnel du démuni qui frappe à la porte, il temporise désormais sur la responsabilité des États.
Avec l’exemple italien sous les yeux, où une politique de droite forte, voire d’extrême droite, ne parvient pas à endiguer les flux de migrants, le pape prône à présent une gestion des flux migratoires au niveau des instances européennes, et non plus nation par nation. Comme la position française. Un sujet qui est à l’agenda de la rencontre, ce samedi matin à Marseille, entre le pape et Emmanuel Macron.
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Une sorte de droit à rester chez soi. Cette dimension du sujet, François l’avait plutôt tenue sous le boisseau jusque-là pour ne pas tomber dans un registre colonialiste qu’il hait. Mais les effets politiques de la montée de l’extrême droite en Europe, précisément à cause des tensions migratoires, inquiètent au plus haut point ce pape de sensibilité de centre gauche. Ce contexte – qu’il aurait indirectement favorisé, selon certains, par ses discours migratoires rejetés par une large partie des catholiques – n’est pas pour rien dans l’évolution de François.
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