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« Les Marocains instrumentalisent aussi les migrations dans un contexte où l’obligation de visa [imposée depuis 1986] a fortement réduit les possibilités de circulation et où les délivrances de visas ne suivent pas les besoins », précise Mme El Qadim. « La question migratoire n’est pas – et ne devrait pas – devenir une question sécuritaire, déclarait ainsi le roi Mohammed VI en décembre 2018. La question de la sécurité ne peut pas nier la mobilité. »
Dans leurs discussions bilatérales, les récits de Paris et Rabat divergent. « La France veut parler cannabis, banlieue, islam, sécurité, expulsions, énumère Mehdi Alioua, de Sciences Po Rabat. Les officiels marocains en ont marre que ces sujets reviennent toujours sur la table alors qu’ils voudraient parler de facilités de visas, de la circulation des compétences ou de la protection sociale de leurs ressortissants. » De son côté, un diplomate français compare le partenaire marocain à une « maîtresse capricieuse », « sensible, susceptible », prompte à formuler parfois des « exigences relevant d’une culture du passe-droit ». « Quand vous voyez l’ampleur de l’emploi informel dans le pays et son niveau de vie, vous ne pouvez pas libéraliser les visas », insiste-t- il, en faisant allusion au « risque migratoire » que présenterait un tel assouplissement.
Alors que le chiffre des éloignements constitue, pour les exécutifs européens, le moyen de démontrer à l’opinion publique l’efficacité de leur stratégie, le faible taux de délivrance des fameux laissez-passer consulaires – ces documents indispensables pour expulser un étranger dépourvu de passeport – fait l’objet de bien des crispations. Dès le milieu des années 2000, les pays les moins enclins à faciliter les reconduites avaient été menacés de rétorsions par Paris. Le manque de coopération de Rabat a fini par agacer. « La difficile reconnaissance de ses ressortissants par le Maroc a toujours caractérisé la relation consulaire, plus que dans le cas de l’Algérie ou de la Tunisie », souligne l’ancien cadre de la DGEF déjà cité.
En 2021, selon les données du ministère français de l’intérieur, le Maroc a transmis 43 % des laissez-passer consulaires qui lui étaient demandés par la France (contre 56,7 % en 2019). « Des préfectures renoncent même à solliciter ces documents, parce qu’elles savent qu’elles ne les obtiendront pas », dénonce un préfet. De son côté, le Maroc conteste la façon dont le taux de délivrance est calculé.
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