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Les propos de Mélenchon et ses proches sur Israël et le Hamas n’ont rien d’un «dérapage» isolé. L’antisémitisme existe, à gauche, depuis deux siècles, mais a été occulté, refoulé. Il y a des épisodes sur lesquels on préfère garder le silence. Or ce passé peu connu est éclairant.

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À gauche, une partie importante des socialistes pré-marxistes (également appelés socialistes utopiques) portent ainsi un regard de réprobation morale envers les Juifs, symboles pour eux du monde nouveau en train de s’imposer et qui déstabilise une société encore rurale et traditionnelle. En 1838-1839, la romancière George Sand, dont le cœur vibrera pour les ouvriers insurgés en juin 1848 et conspuera la majorité conservatrice de l’Assemblée, séjourne à Majorque avec Chopin. Or elle juge que les Juifs sont, dans l’île, en train d’accaparer la richesse. Dans vingt ans, ils « pourront s’y constituer à l’état de puissance comme ils l’ont fait chez nous », ajoute-t-elle. En 1857, elle écrit encore, comme une conséquence du triomphe du capitalisme industriel et financier : « dans cinquante ans, la France sera juive » (cité par l’historien Michel Dreyfus dans son livre). L’inventeur du mot « socialisme », le Français Pierre Leroux (1797-1871), décrit les « plus grands capitalistes de France [comme] des juifs qui ne sont pas des citoyens français mais des agioteurs de tous les pays » (De la Ploutocratie, 1843). Trois ans plus tard, Leroux publie, dans la Revue sociale, financée par George Sand, un article où il assure ne pas incriminer les Juifs en tant que tels, qu’il qualifie de « race humiliée » mais affirme s’attaquer à l’«esprit juif, c’est-à-dire à l’esprit de gain, de lucre, de bénéfice, à l’esprit de négoce et d’agio».

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Lors de la même décennie, un penseur d’une tout autre stature, Proudhon (1809-1865), théoricien d’une contre-société de petits propriétaires indépendants, député en 1848, et qui aura une influence considérable sur le syndicalisme et le mouvement ouvrier, confie à ses Carnets l’aversion qu’il éprouve pour les Juifs. Puis, en date du 26 décembre 1847, sa notation ne marque plus l’hostilité, mais la haine : «Juifs. Faire un article contre cette race qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple. Demander son expulsion de France, à l’exception des individus mariés avec des Françaises ; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi, poursuivre enfin l’abolition de ce culte.» Proudhon poursuit : « Le Juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer… Par le fer ou par le feu, ou par l’expulsion, il faut que le Juif disparaisse ». Et il conclut : « La haine du Juif et de l’Anglais [berceau de la révolution industrielle et du capitalisme libéral, NDLR] doit être notre premier article de foi politique ».

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Bourgeois, juif et officier, Dreyfus a trois titres à l’antipathie des socialistes, alors l’extrême gauche révolutionnaire. Un proche de Jules Guesde, Maurice Charnay, est bien seul lorsque, dans Le Parti ouvrier, il évoque dès le procès de 1894 la possibilité d’une « épouvantable machination » contre Dreyfus. Jean Jaurès est beaucoup plus représentatif des siens. À l’énoncé du premier verdict, il écrit en première page de La Dépêche de Toulouse : «On a surpris un prodigieux déploiement de la puissance juive pour sauver l’un des siens » de la peine capitale (26 décembre 1894). « La vérité, c’est que si on ne l’a pas condamné à mort, c’est que l’immense effort juif n’a pas été tout à fait stérile » ajoute le socialiste. Jaurès en tire argument pour réclamer une plus grande clémence de la justice militaire envers les soldats du rang, passibles de la peine de mort, selon lui, pour une simple insubordination passagère.
Autre indice de sa vision du monde à l’époque : six mois plus tard, de retour d’Algérie, où se déroulent alors des manifestations où l’on crie « à bas les Juifs ! », le député de Carmaux les commente sans les blâmer dans La dépêche de Toulouse (8 mai 1895). Ce « mouvement antijuif », juge-t-il, illustre « la condamnation nouvelle et saisissante d’un régime social qui permet l’accaparement de presque toute la fortune, mobilière et immobilière, par une classe qui ne produit pas ». Or tel est le cas des Juifs en Algérie, soutient Jaurès. « Depuis le décret Crémieux », qui, en 1870, a accordé la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie, « l’usure juive » est à l’œuvre et est «aujourd’hui le vrai conquérant de l’Algérie», insiste le député socialiste. Puis Jaurès élargit son propos : « On entend des hommes, qui passent pour modérés, regretter le temps où les deys d’Alger faisaient rendre gorge, périodiquement, aux usuriers. Ils ne se doutent pas tous que cette opération hardie contre la finance, si elle se renouvelait, ne porterait pas seulement sur les juifs, et c’est ainsi que sous la forme un peu étroite de l’antisémitisme se propage en Algérie un véritable esprit révolutionnaire ».
Un an plus tard, Jaurès polémique avec Drumont en première page de La petite République comme on le fait avec un contradicteur honorable. Or les propos du député de Carmaux laissent pantois. « Et que dirait M. Drumont, qui accuse le socialisme d’être un truquage juif, si nous lui répondions que l’antisémitisme est un truquage destiné à sauvegarder l’ensemble de la classe banquière, industrielle et propriétaire, par une petite opération sagement limitée ? Le capital se laisserait circoncire de son prépuce juif (sic) pour opérer ensuite avec plus de garanties », écrit Jaurès (7 juin 1896).

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On pourrait croire que Jaurès applaudit alors le dreyfusisme résolu du Figaro. Tout au contraire, il le porte à son débit et l’accuse d’être vendu à un «Syndicat Dreyfus», poncif antisémite alors en vogue : «Ce n’est pas que l’existence et l’action de ce syndicat soient contestables. Je défie qu’on explique autrement l’attitude du Figaro, et la campagne systématique que, sous couleur d’impartialité, il mène pour Dreyfus», écrit Jaurès dans La Petite République (27 novembre 1897). Jaurès poursuit : «Que Dreyfus soit ou non coupable, je n’en sais rien et nul ne peut le savoir, puisque le jugement a été secret ; que Dreyfus soit juif ou chrétien, il m’importe peu: et si l’odeur du ghetto est souvent nauséabonde (sic), le parfum de rastaquouère catholique (sic) des Esterhazy et autres écœure aussi les passants».

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Le Figaro

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