Je regarde le cercueil de bois blond sortir du corbillard. Il est porté par des adolescents que chacun devine être les amis de Thomas. Ses parents observent une dignité d’un autre âge. La colère n’a pas sa place ici. Il est 10 heures ce vendredi à Saint-Donat-sur-l’Herbasse. CNews diffuse les images en direct. Eugénie Bastié est sur le plateau. Elle ne retient pas ses larmes. Comme vous, comme nous, comme tous, je regarde cette scène et je pleure.
Les Français de Romans-sur-Isère, de Crépol ou de Saint-Donat-sur-l’Herbasse ne crient pas. Ils gardent le silence. Ils ont du chagrin. Ils accompagnent leur fils, leur frère, leur ami à qui ils disent adieu selon le rite occidental de l’Église catholique, apostolique et romaine, cet héritage millénaire ancré dans l’ADN de si nombreux Français quand il enterre ses morts, crût-il ou non en un monde meilleur.
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Il ne conduisait pas une voiture sans permis.
Il ne refusait pas d’obtempérer.
Il n’était pas connu défavorablement des services de police.
Il s’appelait Thomas.
Il est mort samedi soir dernier au bal de son village.
L’Assemblée nationale n’a marqué aucune minute de silence.
Crépol et ses environs n’ont connu aucune révolte, aucune émeute, aucun tir de mortier.
Le drame de Crépol illustre les maux, les réflexes, les illusions, les mensonges, les non-dits d’une époque que les plus de 40 ans détestent. Le vivre-ensemble ? Juste une illusion. Le mal affiche sa violence. Pavlov et Panurge éditorialisent à la télévision. Le curriculum vitae des agresseurs justifie le non-dit. La parole politique ment comme ment le mercurochrome aux enfants. Crépol dessine une société, entre cécité et lâcheté. Certains témoins de la barbarie racontent le samedi d’épouvante. On entend leur voix. On voit leurs jambes. Étrange pays qui filme les baskets des interviewés.
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Ce qui s’est passé à Crépol est arrivé – sans heureusement les mêmes conséquences – à Saint-Martin-Petit (Lot-et-Garonne) le 30 septembre dernier. Un village de 600 habitants, un anniversaire, une salle des fêtes. Des voyous sèment la panique : agressions à main armée, course poursuite, chasse à l’homme. L’enquête durera un mois et demi. Cinq personnes seront jugées en janvier 2024. D’ici là, les auteurs présumés sont libres, placés sous contrôle judiciaire. Ils ont semé la terreur, ils ne sont pas incarcérés. En aviez-vous entendu parler ?
Thomas est mort il y a une semaine. Nous sommes des spectateurs. Nous sommes des somnambules. Nous regardons une marche blanche, une veillée funèbre, une messe religieuse avec la certitude que rien ne changera.
Jusqu’à la prochaine fois.