Les drapeaux nationaux n’ont pas leur place dans l’hémicycle du Parlement européen. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tranché en ce sens dans un arrêt rendu jeudi 14 décembre 2023. Treize eurodéputés d’extrême droite, onze Français et deux Allemands, avaient demandé l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne datant du 6 octobre 2021. Ce dernier avait jugé « irrecevable leur recours tendant à l’annulation de la mesure verbale du président du Parlement, du 13 janvier 2020, interdisant aux députés d’arborer le drapeau national sur leur pupitre », précise la CJUE.
« Ni banderoles, ni bannières » selon le règlement intérieur
Le litige remonte à janvier 2020. Le Royaume-Uni est sur le point de quitter l’Union européenne, des années après le vote du Brexit. L’ambiance au sein de l’hémicycle européen est électrique. Lors des séances plénières du 13 janvier et celles du 29 et 30 janvier, le Président et les vice-présidentes du Parlement européen rappellent verbalement aux députés britanniques qu’il est interdit de brandir l’Union Jack comme ils le font au sein du Parlement. Le 29 janvier, Nigel Farage, chef de file des partisans du Brexit, avait notamment agité son drapeau national en prononçant son dernier discours au sein de l’hémicycle européen.
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Extraits de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 14/12/2023
1 Par leur pourvoi, M. Jérôme Rivière, Mmes Dominique Bilde, Joëlle Mélin, Aurélia Beigneux, MM. Thierry Mariani, Jordan Bardella, Jean‑Paul Garraud, Jean‑François Jalkh, Gilbert Collard, Gilles Lebreton, Nicolaus Fest, Gunnar Beck et Philippe Olivier, députés du Parlement européen, demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 octobre 2021, Rivière e.a./Parlement (T‑88/20, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:664), par lequel celui‑ci a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l’annulation de la mesure verbale du président du Parlement, du 13 janvier 2020, interdisant aux députés d’arborer le drapeau national sur leur pupitre (ci-après la « mesure litigieuse »).
(…) Sur le second moyen
(…) – Appréciation de la Cour (…)
49 Quant au point de savoir si l’interdiction de déploiement de « bannières » et « banderoles », établie à l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, vise également les drapeaux nationaux, le Tribunal a relevé, au point 50 de l’arrêt attaqué, que les termes utilisés dans d’autres versions linguistiques de cette disposition correspondant aux termes français « banderoles » et « bannières » désignent généralement des objets souvent réalisés en tissus, fixés parfois sur des bâtons en bois et sur lesquels sont inscrits, notamment, des slogans politiques, une devise ou la déclaration d’un appel ou d’un objectif politique. Il a donc pu juger, à bon droit, à ce même point 50, que, en raison de la fonction attribuée en l’espèce au drapeau national par les requérants, ce drapeau pouvait être considéré comme un moyen d’expression ou de communication identique aux banderoles ou aux bannières.
50 Une telle interprétation est corroborée par les éléments contextuels et téléologiques de l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur.
51 En effet, comme le Tribunal l’a relevé aux points 42 à 44 de l’arrêt attaqué, la tradition du débat oral, qui caractérise l’activité parlementaire, est reflétée dans le règlement intérieur. Il ressort de l’économie générale de celui‑ci que les députés s’expriment en prenant la parole et ne disposent, en principe, d’aucun autre moyen d’expression. Dans ce contexte, l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, lu en combinaison avec l’article 175 de celui‑ci, limite les moyens d’expression des députés en dehors de leur temps de parole, afin de garantir tant l’égalité de ceux‑ci que le bon ordre dans la salle des séances.
52 Par conséquent, contrairement à ce que les requérants soutiennent, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré qu’ils avaient déployé une banderole ou une bannière, au sens de l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur, lorsqu’ils ont déposé un drapeau national sur leurs pupitres. En effet, c’est au regard de la fonction politique ainsi attribuée à un tel drapeau que l’acte des députés en cause doit être compris comme la manifestation d’une opinion politique au même titre que le déploiement des « banderoles » et des « bannières » visées à l’article 10, paragraphe 3, seconde phrase, du règlement intérieur.
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55 Enfin, pour ce qui est de l’argumentation des requérants selon laquelle ils disposent du droit de déposer un petit drapeau national sur leur pupitre, sur le fondement du droit au respect de l’identité nationale garanti par l’article 4, paragraphe 2, TUE, il convient de rappeler d’emblée que cette disposition, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, ne se réfère pas à une « appartenance nationale ». En revanche, ladite disposition impose à l’Union de respecter l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, et les fonctions essentielles de l’État.
56 Par ailleurs, les membres du Parlement représentent les citoyens de l’Union, ainsi qu’il ressort expressément de l’article 10, paragraphe 2, et de l’article 14, paragraphe 2, TUE et encore de l’article 22, paragraphe 2, TFUE, même s’ils sont élus sur des listes établies au niveau des États membres. Conformément au principe de démocratie représentative, sur lequel, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, TUE, le fonctionnement de l’Union est fondé, la composition du Parlement reflète de façon fidèle et complète la libre expression des choix effectués par les citoyens de l’Union, au moyen du suffrage universel direct, quant aux personnes par lesquelles ceux-ci entendent être représentés pendant une législature donnée (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 83).
57 Il s’ensuit que, comme le Tribunal l’a jugé à bon droit, au point 49 de l’arrêt attaqué, le déploiement des drapeaux des États membres sur les pupitres des députés élus au Parlement est en discordance avec la fonction représentative de ces députés, telle qu’elle est définie par les traités, auxquels renvoie expressément l’article 10, paragraphe 1, du règlement intérieur.