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À quoi les Français croient-ils encore ? par Riss · Paru dans l’édition 1640 du 27/12/2023.

La loi sur l’immigration a donc été adoptée. Une de plus. La droite et l’extrême droite en avaient fait un enjeu idéologique, et la gauche y voyait l’occasion d’affirmer son identité progressiste. Sous le regard de ses électeurs, chaque formation politique a joué le rôle qu’ils attendaient d’elle.

L’immigration occupe les débats politiques depuis que l’extrême droite, au début des années 1970, en a fait son cheval de bataille. Un personnage oublié aujourd’hui, François Duprat, s’il avait vu et entendu les débats à l’Assemblée, n’aurait pu qu’être satisfait du résultat. Redoutable idéologue de la droite la plus extrême, lieutenant de Jean-Marie Le Pen, jusqu’au jour où il trouva la mort dans l’explosion de sa voiture piégée, il savait que sa famille politique n’arriverait pas au pouvoir par les urnes. Il avait donc misé sur une stratégie plus subtile, qui vient de triompher sous nos yeux : faire de l’immigration un sujet incontournable pour obliger tous les partis, à commencer par ceux de droite, à adopter ce thème. Le résultat va bien au-delà de ses calculs puisque aujourd’hui l’extrême droite dispose d’une formation politique puissante aux portes du pouvoir, le Rassemblement national. Les idées de Duprat ont fini par entrer dans les crânes : l’immigration est le plus grand danger qui menace la France.

Quelle société voulons-nous ? En face, la gauche a cru combattre efficacement cette redoutable machine de guerre idéologique en répétant à l’infini que l’immi­gration est « une chance pour la France ». Un discours devenu inaudible pour des électeurs, y compris de gauche, préoccupés par une immigration dont les mécanismes d’intégration – certains préféreront dire d’assimilation – semblent de moins en moins convaincants. L’immigration qui, en principe, démontre la bonne santé d’une société puisqu’elle attire des étrangers, est devenue une source d’inquiétude. Les Français n’ont plus confiance dans ses vertus et ne croient plus à la force de l’intégration. Les fondements mêmes de la démocratie leur apparaissent déstabilisés par l’arrivée de populations dont les valeurs semblent incompatibles avec les leurs. Pendant longtemps, on a assimilé le rejet de l’immigration uniquement à du racisme, à l’image des théories élaborées par des fascistes comme François Duprat, adeptes d’une Europe blanche, ethniquement pure.

Un récent sondage de l’institut CSA indique que 76 % des Français voudraient durcir les critères de naturalisation. Beaucoup d’entre eux sont pourtant d’origine étrangère. La question du racisme n’est donc plus la seule à motiver le rejet des Français. Il ne faut pas être naïf : aucun pays ne laisse entrer librement sur son territoire le premier venu. Mais contrairement à ce que nous fait croire cette loi, les problèmes ne se résument pas à des questions d’aides sociales, de régularisation ou d’OQTF. La question est de savoir ce qu’on a à dire à ces nouveaux arrivants sur le type de société dans laquelle nous voulons vivre.

Une société libre d’esprit, ouverte au débat, à la contestation, à l’art, à la création, à l’humour, à la déconnade, à l’ironie, aux plaisirs des sens et à la jouissance ? De cela, jamais les lois sur l’immigration ne parlent. Qui d’ailleurs ose le faire ? Même une institution comme l’école ne sait plus comment transmettre ces désirs à ses élèves. Comment les Français pourraient-ils partager leurs passions et leurs goûts avec leurs semblables venus des quatre coins du monde si eux-mêmes n’y croient plus ? Ils demandent qu’on ralentisse l’arrivée des immigrés, car leur présence met en évidence leurs divisions, leurs fractures et leur incapacité à vivre ensemble. Ils s’accrochent alors à des textes, à des règlements, à des alinéas comme à autant de bouées de sauvetage. La loi va miraculeusement transformer la citrouille en carrosse. Les Français ont-ils encore quelque chose à partager, qui les réunisse et leur donne confiance en eux ? L’étranger, peut-être ? L’étranger à foutre dehors, bien sûr.

Charlie Hebdo

(Merci à Laurent P.)

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